PHEDRE de RACINE
 
 
PERSONNAGES
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THESEE, fils d'Eg�e, roi d'Ath�nes.
PHEDRE, femme de Th�s�e, fille de Minos et de Pasipha�.
HIPPOLYTE, fils de Th�s�e et d'Antiope, reine des Amazones.
ARICIE, princesse du sang royal d'Ath�nes.
OENONE, nourrice et confidente de Ph�dre.
THERAMENE, gouverneur d'Hippolyte.
ISMENE, confidente d'Aricie.
PANOPE, femme de la suite de Ph�dre.
GARDES.
 
La sc�ne est � Tr�z�ne, ville du P�loponn�se.
 
 
ACTE I
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SCENE I - HIPPOLYTE, THERAMENE
 
 
HIPPOLYTE
Le dessein en est pris, je pars, cher Th�ram�ne,
Et quitte le s�jour de l'aimable Tr�z�ne.
Dans le doute mortel o� je suis agit�,
Je commence � rougir de mon oisivet�.
Depuis plus de six mois �loign� de mon p�re,
J'ignore le destin d'une t�te si ch�re ;
J'ignore jusqu'aux lieux qui le peuvent cacher.
 
THERAMENE
Et dans quels lieux, Seigneur, l'allez-vous donc chercher ?
D�j�, pour satisfaire � votre juste crainte,
J'ai couru les deux mers que s�pare Corinthe ;
J'ai demand� Th�s�e aux peuples de ces bords
O� l'on voit l'Acheron se perdre chez les morts ;
J'ai visit� l'�lide, et, laissant le T�nare,
Pass� jusqu'� la mer qui vit tomber Icare.
Sur quel espoir nouveau, dans quels heureux climats
Croyez-vous d�couvrir la trace de ses pas ?
Qui sait m�me, qui sait si le Roi votre p�re
Veut que de son absence on sache le myst�re ?
Et si, lorsqu'avec vous nous tremblons pour ses jours,
Tranquille, et nous cachant de nouvelles amours,
Ce h�ros n'attend point qu'une amante abus�e...
 
HIPPOLYTE
Cher Th�ram�ne, arr�te, et respecte Th�s�e.
De ses jeunes erreurs d�sormais revenu,
Par un indigne obstacle il n'est point retenu ;
Et fixant de ses voeux l'inconstance fatale,
Ph�dre depuis longtemps ne craint plus de rivale.
Enfin en le cherchant je suivrai mon devoir,
Et je fuirai ces lieux que je n'ose plus voir.
 
THERAMENE
H� ! depuis quand, Seigneur, craignez-vous la pr�sence
De ces paisibles lieux, si chers � votre enfance,
Et dont je vous ai vu pr�f�rer le s�jour
Au tumulte pompeux d'Ath�nes et de la cour ?
Quel p�ril, ou plut�t quel chagrin vous en chasse ?
 
HIPPOLYTE
Cet heureux temps n'est plus. Tout a chang� de face
Depuis que sur ces bords les Dieux ont envoy�
La fille de Minos et de Pasipha�.
 
THERAMENE
J'entends. De vos douleurs la cause m'est connue,
Ph�dre ici vous chagrine, et blesse votre vue.
Dangereuse mar�tre, � peine elle vous vit
Que votre exil d'abord signala son cr�dit.
Mais sa haine sur vous autrefois attach�e,
Ou s'est �vanouie, ou bien s'est rel�ch�e.
Et d'ailleurs, quels p�rils peut vous faire courir
Une femme mourante et qui cherche � mourir ?
Ph�dre, atteinte d'un mal qu'elle s'obstine � taire,
Lasse enfin d'elle-m�me et du jour qui l'�claire,
Peut-elle contre vous former quelques desseins ?
 
HIPPOLYTE
Sa vaine inimiti� n'est pas ce que je crains.
Hippolyte en partant fuit une autre ennemie.
Je fuis, je l'avo�rai, cette jeune Aricie,
Reste d'un sang fatal conjur� contre nous.
 
THERAMENE
Quoi ! vous-m�me, Seigneur, la pers�cutez-vous ?
Jamais l'aimable soeur des cruels Pallantides
Trempa-t-elle aux complots de ses fr�res perfides ?
Et devez-vous ha�r ces innocents appas ?
 
HIPPOLYTE
Si je la ha�ssais, je ne la fuirais pas.
 
THERAMENE
Seigneur, m'est-il permis d'expliquer votre fuite ?
Pourriez-vous n'�tre plus ce superbe Hippolyte,
Implacable ennemi des amoureuses lois,
Et d'un joug que Th�s�e a subi tant de fois ?
V�nus, par votre orgueil si longtemps m�pris�e,
Voudrait-elle � la fin justifier Th�s�e ?
Et vous mettant au rang du reste des mortels,
Vous a-t-elle forc� d'encenser ses autels ?
Aimeriez-vous, Seigneur ?
 
HIPPOLYTE
Ami, qu'oses-tu dire ?
Toi qui connais mon coeur depuis que je respire,
Des sentiments d'un coeur si fier, si d�daigneux,
Peux-tu me demander le d�saveu honteux ?
C'est peu qu'avec son lait une m�re amazone
M'ait fait sucer encor cet orgueil qui t'�tonne ;
Dans un �ge plus m�r moi-m�me parvenu,
Je me suis applaudi quand je me suis connu.
Attach� pr�s de moi par un z�le sinc�re,
Tu me contais alors l'histoire de mon p�re.
Tu sais combien mon �me, attentive � ta voix,
S'�chauffait au r�cit de ses nobles exploits,
Quand tu me d�peignais ce h�ros intr�pide
Consolant les mortels de l'absence d'Alcide,
Les monstres �touff�s et les brigands punis,
Procuste, Cercyon, et Scirron, et Sinnis,
Et les os dispers�s du g�ant d'Epidaure,
Et la Cr�te fumant du sang du Minotaure.
Mais quand tu r�citais des faits moins glorieux,
Sa foi partout offerte et re�ue en cent lieux,
H�l�ne � ses parents dans Sparte d�rob�e,
Salamine t�moin des pleurs de P�rib�e,
Tant d'autres, dont les noms lui sont m�me �chapp�s,
Trop cr�dules esprits que sa flamme a tromp�s ;
Ariane aux rochers contant ses injustices,
Ph�dre enlev�e enfin sous de meilleurs auspices ;
Tu sais comme � regret �coutant ce discours,
Je te pressais souvent d'en abr�ger le cours :
Heureux si j'avais pu ravir � la m�moire
Cette indigne moiti� d'une si belle histoire !
Et moi-m�me, � mon tour, je me verrais li� ?
Et les Dieux jusque-l� m'auraient humili� ?
Dans mes l�ches soupirs d'autant plus m�prisable,
Qu'un long amas d'honneurs rend Th�s�e excusable,
Qu'aucuns monstres par moi dompt�s jusqu'aujourd'hui
Ne m'ont acquis le droit de faillir comme lui.
Quand m�me ma fiert� pourrait s'�tre adoucie,
Aurais-je pour vainqueur d� choisir Aricie ?
Ne souviendrait-il plus � mes sens �gar�s
De l'obstacle �ternel qui nous a s�par�s ?
Mon p�re la r�prouve ; et par des lois s�v�res
Il d�fend de donner des neveux � ses fr�res :
D'une tige coupable il craint un rejeton ;
Il veut avec leur soeur ensevelir leur nom,
Et que jusqu'au tombeau soumise � sa tutelle,
Jamais les feux d'hymen ne s'allument pour elle.
Dois-je �pouser ses droits contre un p�re irrit� ?
Donnerai-je l'exemple � la t�m�rit� ?
Et dans un fol amour ma jeunesse embarqu�e...
 
THERAMENE
Ah ! Seigneur si votre heure est une fois marqu�e,
Le Ciel de nos raisons ne sait point s'informer.
Th�s�e ouvre vos yeux en voulant les fermer,
Et sa haine, irritant une flamme rebelle,
Pr�te � son ennemie une gr�ce nouvelle.
Enfin d'un chaste amour pourquoi vous effrayer ?
S'il a quelque douceur, n'osez-vous l'essayer ?
En croirez-vous toujours un farouche scrupule ?
Craint-on de s'�garer sur les traces d'Hercule ?
Quels courages V�nus n'a-t-elle pas dompt�s !
Vous-m�me o� seriez-vous, vous qui la combattez,
Si toujours Antiope � ses lois oppos�e,
D'une pudique ardeur n'e�t br�l� pour Th�s�e ?
Mais que sert d'affecter un superbe discours ?
Avouez-le, tout change ; et depuis quelques jours
On vous voit moins souvent, orgueilleux et sauvage,
Tant�t faire voler un char sur le rivage,
Tant�t, savant dans l'art par Neptune invent�,
Rendre docile au frein un coursier indompt�.
Les for�ts de nos cris moins souvent retentissent.
Charg�s d'un feu secret, vos yeux s'appesantissent.
Il n'en faut point douter : vous aimez, vous br�lez ;
Vous p�rissez d'un mal que vous dissimulez.
La charmante Aricie a-t-elle su vous plaire ?
 
HIPPOLYTE
Th�ram�ne, je pars, et vais chercher mon p�re.
 
THERAMENE
Ne verrez-vous point Ph�dre avant que de partir,
Seigneur ?
 
HIPPOLYTE
C'est mon dessein : tu peux l'en avertir.
Voyons-la, puisqu'ainsi mon devoir me l'ordonne.
Mais quel nouveau malheur trouble sa ch�re OEnone ?
 
 
SCENE II - HIPPOLYTE, OENONE, THERAMENE
 
OENONE
H�las ! Seigneur, quel trouble au mien peut �tre �gal ?
La Reine touche presque � son terme fatal.
En vain � l'observer jour et nuit je m'attache :
Elle meurt dans mes bras d'un mal qu'elle me cache.
Un d�sordre �ternel r�gne dans son esprit.
Son chagrin inquiet l'arrache de son lit.
Elle veut voir le jour ; et sa douleur profonde
M'ordonne toutefois d'�carter tout le monde...
Elle vient.
 
HIPPOLYTE
Il suffit : je la laisse en ces lieux,
Et ne lui montre point un visage odieux.
 
 
SCENE III - PHEDRE, OENONE
 
PHEDRE
N'allons point plus avant. Demeurons, ch�re OEnone.
Je ne me soutiens plus, ma force m'abandonne.
Mes yeux sont �blouis du jour que je revoi,
Et mes genoux tremblants se d�robent sous moi.
H�las !
 
OENONE
Dieux tout-puissants ! que nos pleurs vous apaisent.
 
PHEDRE
Que ces vains ornements, que ces voiles me p�sent !
Quelle importune main, en formant tous ces noeuds,
A pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux ?
Tout m'afflige et me nuit, et conspire � me nuire.
 
OENONE
Comme on voit tous ses voeux l'un l'autre se d�truire !
Vous-m�me, condamnant vos injustes desseins,
Tant�t � vous parer vous excitiez nos mains ;
Vous-m�me, rappelant votre force premi�re,
Vous vouliez vous montrer et revoir la lumi�re.
Vous la voyez, madame, et pr�te � vous cacher,
Vous ha�ssez le jour que vous veniez chercher ?
 
PHEDRE
Noble et brillant auteur d'une triste famille,
Toi, dont ma m�re osait se vanter d'�tre fille,
Qui peut-�tre rougis du trouble o� tu me vois,
Soleil, je te viens voir pour la derni�re fois.
 
OENONE
Quoi ! vous ne perdrez point cette cruelle envie ?
Vous verrai-je toujours, renon�ant � la vie,
Faire de votre mort les funestes appr�ts ?
 
PHEDRE
Dieux ! que ne suis-je assise � l'ombre des for�ts !
Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussi�re,
Suivre de l'oeil un char fuyant dans la carri�re ?
 
OENONE
Quoi, Madame ?
 
PHEDRE
Insens�e, o� suis-je ? et qu'ai-je dit ?
O� laiss�-je �garer mes voeux et mon esprit ?
Je l'ai perdu : les Dieux m'en ont ravi l'usage.
OEnone, la rougeur me couvre le visage :
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs,
Et mes yeux, malgr� moi, se remplissent de pleurs.
 
OENONE
Ah ! s'il vous faut rougir, rougissez d'un silence
Qui de vos maux encore aigrit la violence.
Rebelle � tous nos soins, sourde � tous nos discours,
Voulez-vous sans piti� laisser finir vos jours ?
Qulle fureur les borne au milieu de leur course ?
Quel charme ou quel poison en a tari la source ?
Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
Depuis que le sommeil n'est entr� dans vos yeux ;
Et le jour a trois fois chass� la nuit obscure
Depuis que votre corps languit sans nourriture.
A quel affreux dessein vous laissez-vous tenter ?
De quel droit sur vous-m�me osez-vous attenter ?
Vous offensez les Dieux auteurs de votre vie ;
Vous trahissez l'�poux � qui la foi vous lie ;
Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,
Que vous pr�cipitez sous un joug rigoureux.
Songez qu'un m�me jour leur ravira leur m�re,
Et rendra l'esp�rance au fils de l'�trang�re,
A ce fier ennemi de vous, de votre sang,
Ce fils qu'une Amazone a port� dans son flanc,
Cet Hippolyte...
 
PHEDRE
Ah, dieux !
 
OENONE
Ce reproche vous touche.
 
PHEDRE
Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche ?
 
OENONE
H� bien ! votre col�re �clate avec raison :
J'aime � vous voir fr�mir � ce funeste nom.
Vivez donc. Que l'amour, le devoir vous excite,
Vivez, ne souffrez pas que le fils d'une Scythe,
Accablant vos enfants d'un empire odieux,
Commande au plus beau sang de la Gr�ce et des Dieux.
Mais ne diff�rez point : chaque moment vous tue.
R�parez promptement votre force abattue,
Tandis que de vos jours, pr�ts � se consumer,
Le flambeau dure encore, et peut se rallumer.
 
PHEDRE
J'en ai trop prolong� la coupable dur�e.
 
OENONE
Quoi ? de quel remords �tes-vous d�chir�e ?
Quel crime a pu produire un trouble si pressant ?
Vos mains n'ont point tremp� dans le sang innocent ?
 
PHEDRE
Gr�ces au ciel, mes mains ne sont point criminelles.
Pl�t aux Dieux que mon coeur f�t innocent comme elles !
 
OENONE
Et quel affreux projet avez-vous enfant�,
Dont votre coeur encor doive �tre �pouvant� ?
 
PHEDRE
Je t'en ai dit assez. Epargne-moi le reste.
Je meurs pour ne point faire un aveu si funeste.
 
OENONE
Mourez donc, et gardez un silence inhumain ;
Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main.
Quoiqu'il vous reste � peine une faible lumi�re,
Mon �me chez les morts descendra la premi�re.
Mille chemins ouverts y conduisent toujours,
Et ma juste douleur choisira les plus courts.
Cruelle, quand ma foi vous a-t-elle d��ue ?
Songez-vous qu'en naissant mes bras vous ont re�ue ?
Mon pays, mes enfants, pour vous j'ai tout quitt�.
R�serviez-vous ce prix � ma fid�lit� ?
 
PHEDRE
Quel fruit esp�res-tu de tant de violence ?
Tu fr�miras d'horreur si je romps le silence.
 
OENONE
Et que me direz-vous qui ne c�de, grands Dieux !
A l'horreur de vous voir expirer � mes yeux ?
 
PHEDRE
Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable,
Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable.
 
OENONE
Madame, au nom des pleurs que pour vous j'ai vers�s,
Par vos faibles genoux que je tiens embrass�s,
D�livrez mon esprit de ce funeste doute.
 
PHEDRE
Tu le veux. L�ve-toi.
 
OENONE
Parlez : je vous �coute.
 
PHEDRE
Ciel! que vais-je lui dire ? Et par o� commencer ?
 
OENONE
Par de vaines frayeurs cessez de m'offenser.
 
PHEDRE
O haine de V�nus ! O fatale col�re !
Dans quels �garements l'amour jeta ma m�re !
 
OENONE
Oublions-les, Madame. Et qu'� tout l'avenir
Un silence �ternel cache ce souvenir.
 
PHEDRE
Ariane, ma soeur ! de quel amour bless�e,
Vous mour�tes aux bords o� vous f�tes laiss�e !
 
OENONE
Que faites-vous, Madame ? Et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd'hui ?
 
PHEDRE
Puisque V�nus le veut, de ce sang d�plorable
Je p�ris la derni�re, et la plus mis�rable.
 
OENONE
Aimez-vous ?
 
PHEDRE
De l'amour j'ai toutes les fureurs.
 
OENONE
Pour qui ?
 
PHEDRE
Tu vas ou�r le comble des horreurs.
J'aime... A ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J'aime...
 
OENONE
Qui ?
 
PHEDRE
Tu connais ce fils de l'Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-m�me opprim� ?
 
OENONE
Hippolyte ! Grands Dieux !
 
PHEDRE
C'est toi qui l'as nomm�.
 
OENONE
Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace.
O d�sespoir ! � crime ! � d�plorable race !
Voyage infortun� ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux ?
 
PHEDRE
Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d'Eg�e
Sous les lois de l'hymen je m'�tais engag�e,
Mon repos, mon bonheur semblait s'�tre affermi,
Ath�nes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je p�lis � sa vue ;
Un trouble s'�leva dans mon �me �perdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et br�ler.
Je reconnus V�nus et ses feux redoutables,
D'un sang qu'elle poursuit tourments in�vitables.
Par des voeux assidus je crus les d�tourner :
Je lui b�tis un temple, et pris soin de l'orner ;
De victimes moi-m�me � toute heure entour�e,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison �gar�e,
D'un incurable amour rem�des impuissants !
En vain sur les autels ma main br�lait l'encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la D�esse,
J'adorais Hippolyte ; et le voyant sans cesse,
M�me au pied des autels que je faisais fumer,
J'offrais tout � ce Dieu que je n'osais nommer.
Je l'�vitais partout. O comble de mis�re !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son p�re.
Contre moi-m�me enfin j'osai me r�volter :
J'excitai mon courage � le pers�cuter.
Pour bannir l'ennemi dont j'�tais idol�tre,
J'affectai les chagrins d'une injuste mar�tre ;
Je pressai son exil, et mes cris �ternels
L'arrach�rent du sein et des bras paternels.
Je respirais OEnone, et depuis son absence,
Mes jours moins agit�s coulaient dans l'innocence.
Soumise � mon �poux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaine pr�cautions ! Cruelle destin�e !
Par mon �poux lui-m�me � Tr�z�ne amen�e,
J'ai revu l'ennemi que j'avais �loign� :
Ma blessure trop vive a aussit�t saign�,
Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cach�e :
C'est V�nus tout enti�re � sa proie attach�e.
J'ai con�u pour mon crime une juste terreur ;
J'ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire;,
Et d�rober au jour une flamme si noire :
Je n'ai pu soutenir tes larmes, tes combats ;
Je t'ai tout avou� ; je ne m'en repens pas,
Pourvu que de ma mort respectant les approches,
Tu ne m'affliges plus par d'injustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout pr�t � s'exhaler.
 
 
SCENE IV - PHEDRE, OENONE, PANOPE
 
 
PANOPE
Je voudrais vous cacher une triste nouvelle,
Madame ; mais il faut que je vous la r�v�le.
La mort vous a ravi votre invincible �poux,
Et ce malheur n'est plus ignor� que de vous.
 
OENONE
Panope, que dis-tu ?
 
PANOPE
Que la Reine abus�e
En vain demande au ciel le retour de Th�s�e,
Et que par des vaisseaux arriv�s dans le port
Hippolyte son fils vient d'apprendre sa mort.
 
PHEDRE
Ciel !
 
PANOPE
Pour le choix d'un ma�tre Ath�nes se partage.
Au Prince votre fils l'un donne son suffrage,
Madame ; et de l'Etat l'autre oubliant les lois,
Au fils de l'�trang�re ose donner sa voix.
On dit m�me qu'au tr�ne une brigue insolente
Veut placer Aricie et le sang de Pallante.
J'ai cru de ce p�ril devoir vous avertir.
D�j� m�me Hippolyte est tout pr�t � partir ;
Et l'on craint, s'il para�t dans ce nouvel orage,
Qu'il n'entra�ne apr�s lui tout un peuple volage.
 
OENONE
Panope, c'est assez. La Reine, qui t'entend,
Ne n�gligera point cet avis important.
 
 
SCENE V - PHEDRE, OENONE
 
 
OENONE
Madame, je cessais de vous presser de vivre ;
D�j� m�me au tombeau je songeais � vous suivre ;
Pour vous en d�tourner je n'avais plus de vois ;
Mais ce nouveau malheur vous prescrit d'autres lois.
Votre fortune change et prend une autre face :
Le Roi n'est plus. Madame, il faut prendre sa place.
Sa mort vous laisse un fils � qui vous vous devez,
Esclave s'il vous perd, et roi si vous vivez.
Sur qui, dans son malheur, voulez-vous qu'il s'appuie ?
Ses larmes n'auront plus de main qui les essuie ;
Et ses cris innocents, port�s jusques aux Dieux,
Iront contre sa m�re irriter ses a�eux.
Vivez, vous n'avez plus de reproche � vous faire :
Votre flamme devient une flamme ordinaire.
Th�s�e en expirant vient de rompre les noeuds
Qui faisaient tout le crime et l'horreur de vos feux.
Hippolyte pour vous devient moins redoutable,
Et vous pouvez le voir sans vous rendre coupable.
Peut-�tre convaincu de votre aversion,
Il va donner un chef � la s�dition.
D�trompez son erreur, fl�chissez son courage.
Roi de ces bords heureux, Tr�z�ne est son partage ;
Mais il sait que les lois donnent � votre fils
Les superbes remparts que Minerve a b�tis.
Vous avez l'un et l'autre une juste ennemie :
Unissez-vous tous deux pour combattre Aricie.
 
PHEDRE
H� bien ! � tes conseils je me laisse entra�ner.
Vivons, si vers la vie on peut me ramener,
Et si l'amour d'un fils en ce moment funeste
De mes faibles esprits peut ranimer le reste.
 
 
ACTE II
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SCENE I - ARICIE, ISMENE
 
ARICIE
Hippolyte demande � me voir en ce lieu ?
Hippolyte me cherche et veut me dire adieu ?
Ism�ne, dis-tu vrai ? N'es-tu point abus�e ?
 
ISMENE
C'est le premier effet de la mortt de Th�s�e.
Pr�parez-vous, Madame, � voir de tous c�t�s
Voler vers vous les coeurs par Th�s�e �cart�s.
Aricie � la fin de son sort est ma�tresse,
Et bient�t � ses pieds verra toute la Gr�ce.
 
ARICIE
Ce n'est donc point, Ism�ne, un bruit mal affermi ?
Je cesse d'�tre esclave, et n'ai plus d'ennemi ?
 
ISMENE
Non, Madame. les Dieux ne vous sont plus contraires,
Et Th�s�e a rejoint les m�nes de vos fr�res.
 
ARICIE
Dit-on quelle aventure a termin� ses jours ?.
 
ISMENE
On s�me de sa mort d'incroyables discours.
On dit que ravisseur d'une amante nouvelle
Les flots ont englouti cet �poux infid�le.
On dit m�me, et ce bruit est partout r�pandu,
Qu'avec Piritho�s aux enfers descendu,
Il a vu le Cocyte et les rivages sombres,
Et s'est montr� vivant aux infernales ombres ;
Mais qu'il n'a pu sortir de ce triste s�jour,
Et repasser les bords qu'on passe sans retour.
 
ARICIE
Croirai-je qu'un mortel avant sa derni�re heure
Peut p�n�trer des morts la profonde demeure ?
Quel charme l'attirait sur ces bords redout�s ?
 
ISMENE
Th�s�e est mort, Madame, et vous seule en doutez :
Ath�nes en g�mit, Tr�z�ne en est instruite,
Et d�j� pour son roi reconna�t Hippolyte.
Ph�dre, dans ce palais, tremblante pour son fils,
De ses amis troubl�s demande les avis.
 
ARICIE
Et tu crois que pour moi plus humain que son p�re,
Hippolyte rendra ma cha�ne plus l�g�re ?
Qu'il plaindra mes malheurs ?
 
ISMENE
Madame, je le croi.
 
ARICIE
L'insensible Hippolyte est-il connu de toi ?
Sur quel frivole espoir penses-tu qu'il me plaigne,
Et respecte en moi seule un sexe qu'il d�daigne ?
Tu vois depuis quel temps il �vite nos pas,
Et cherche tous les lieux o� nous ne sommes pas.
 
ISMENE
Je sais de ses froideurs tout ce que l'on r�cite ;
Mais j'ai vu pr�s de vous ce superbe Hippolyte ;
Et m�me, en le voyant, le bruit de sa fiert�
A redoubl� pour lui ma curiosit�.
Sa pr�sence � ce bruit n'a point paru r�pondre :
D�s vos premiers regards je l'ai vu se confondre.
Ses yeux, qui vainement voulaient vous �viter,
D�j� pleins de langueur, ne pouvaient vous quitter.
Le nom d'amant peut-�tre offense son courage ;
Mais il en a les yeux, s'il n'en a le langage.
 
ARICIE
Que mon coeur, ch�re Ism�ne, �coute avidement
Un discours qui peut-�tre a peu de fondement !
O toi qui me connais, te semblait-il croyable
Que le triste jouet d'un sort impitoyable,
Un coeur toujours nourri d'amertume et de pleurs,
D�t conna�tre l'amour et ses folles douleurs ?
Reste du sang d'un roi, noble fils de la terre,
Je suis seule �chapp�e aux fureurs de la guerre.
J'ai perdu dans la fleur de leur jeune saison,
Six fr�res, quel espoir d'une illustre maison !
Le fer moissonna tout, et la terre humect�e
But � regret le sang des neveux d'Erecht�e.
Tu sais, depuis leur mort, quelle s�v�re loi
D�fend � tous les Grecs de soupirer pour moi :
On craint que de la soeur les flammes t�m�raires
Ne raniment un jour la cendre de ses fr�res.
Mais tu sais bien aussi de quel oeil d�daigneux
Je regardais ce soin d'un vainqueur soup�onneux.
Tu sais que de tout temps � l'amour oppos�e,
Je rendais souvent gr�ce � l'injuste Th�s�e
Dont l'heureuse rigueur secondait mes m�pris.
Mes yeux alors, mes yeux n'avaient pas vu son fils.
Non que par les yeux seuls, l�chement enchant�e,
J'aime en lui sa beaut�, sa gr�ce tant vant�e,
Pr�sents dont la nature a voulu l'honorer,
Qu'il m�prise lui-m�me, et qu'il semble ignorer.
J'aime, je prise en lui de plus nobles richesses,
Les vertus de son p�re, et non point les faiblesses.
J'aime, je l'avo�rai, cet orgueil g�n�reux
Qui n'a jamais fl�chi sous le joug amoureux.
Ph�dre en vain s'honorait des soupirs de Th�s�e :
Pour moi, je suis plus fi�re, et fuis la gloire; ais�e
D'arracher un hommage � mille autres offert,
Et d'entrer dans un coeur de toutes parts ouvert.
Mais de faire fl�chir un courage inflexible,
De porter la douleur dans une �me insensible,
D'encha�ner un captif de ses fers �tonn�,
Contre un joug qui lui pla�t vainement mutin� ;
C'est l� ce que je veux, c'est l� ce qui m'irrite.
Hercule � d�sarmer co�tait moins qu'Hippolyte,
Et vaincu plus souvent, et plus t�t surmont�,
Pr�parait moins de gloire; aux yeux qui l'ont dompt�.
Mais, ch�re Ism�ne, h�las ! quelle est mon impudence !
On ne m'opposera que trop de r�sistance.
Tu m'entendras peut-�tre, humble dans mon ennui,
G�mir du m�me orgueil que j'admire aujourd'hui.
Hippolyte aimerait ? Par quel bonheur extr�me
Aurais-je pu fl�chir...
 
ISMENE
Vous l'entendrez lui-m�me :
Il vient � vous.
 
 
SCENE II - HIPPOLYTE, ARICIE, ISMENE
 
 
HIPPOLYTE
Madame, avant que de partir,
J'ai cru de votre sort devoir vous avertit.
Mon p�re ne vit plus. Ma juste d�fiance
Pr�sageait les raisons de sa trop longue absence :
La mort seule, bornant ses travaux �clatants,
Pouvait � l'univers le cacher si longtemps.
Les Dieux livrent enfin � la Parque homicide
L'ami, le compagnon, le successeur d'Alcide.
Je crois que votre haine, �pargnant ses vertus,
Ecoute sans regret ces noms qui lui sont dus.
Un espoir adoucit ma tristesse mortelle :
Je puis vous affranchier d'une aust�re tutelle.
Je r�voque des lois dont j'ai plaint la rigueur :
Vous pouvez disposer de vous, de votre coeur ;
Et dans cette Tr�z�ne, aujourd'hui mon partage,
De mon a�eul Pitth�e autrefois l'h�ritage,
Qui m'a sans balancer reconnu pour son roi,
Je vous laisse aussi libre, et plus libre que moi.
 
ARICIE
Mod�rez des bont�s dont l'exc�s m'embarrasse.
D'un soin si g�n�reux honorer ma disgr�ce,
Seigneur, c'est me ranger, plus que vous ne pensez,
Sous ces aust�res lois dont vous me dispensez.
 
HIPPOLYTE
Du choix d'un successeur Ath�nes incertaine,
Parle de vous, me nomme, et le fils de la Reine.
 
ARICIE
De moi, Seigneur ?
 
HIPPOLYTE
Je sais, sans vouloir me flatter,
Qu'une superbe loi semble me rejeter.
La Gr�ce me reproche une m�re �trang�re.
Mais si pour concurrent je n'avais que mon fr�re,
Madame, j'ai sur lui de v�ritables droits
Que je saurais sauver du caprice des lois.
Un frein plus l�gitime arr�te mon audace :
Je vous c�de, ou plut�t je vous rends une place,
Un sceptre que jadis vos a�eux ont re�u
De ce fameux mortel que la terre a con�u.
L'adoption le mit entre les mains d'Eg�e.
Ath�nes, par mon p�re accrue et prot�g�e,
Reconnut avec joie un roi si g�n�reux,
Et laissa dans l'oubli vos fr�res malheureux.
Ath�nes dans ses murs maintenant vous rappelle.
Assez elle a g�mi d'une longue querelle,
Assez dans ses sillons votre sang englouti
A fait fumer le champ dont il �tait sorti.
Tr�z�ne m'ob�it. Les campagnes de Cr�te
Offrent au fils de Ph�dre une riche retraite.
L'Attique est votre bien. Je pars et vais pour vous
R�unir tous les voeux partag�s entre nous.
 
ARICIE
De tout ce que j'entends �tonn�e et confuse,
Je crains presque, je crains qu'un songe ne m'abuse.
Veill�-je ? Puis-je croire un semblable dessein ?
Quel Dieu, Seigneur, quel Dieu l'a mis dans votre sein ?
Qu'� bon droit votre gloire; en tous lieux est sem�e !
Et que la v�rit� passe la renomm�e !
Vous-m�me en ma faveur vous voulez vous trahir !
N'�tait-ce pas assez de ne me point ha�r ?
Et d'avoir si longtemps pu d�fendre votre �me
De cette inimiti�...
 
HIPPOLYTE
Moi, vous ha�r, Madame ?
Avec quelques couleurs qu'on ait peint ma fiert�,
Croit-on que dans ses flancs un monstre m'ait port� ?
Quelles sauvages moeurs, quelle haine endurcie
Pourrait, en vous voyant, n'�tre point adoucie ?
Ai-je pu r�sister au charme d�cevant...
 
ARICIE
Quoi ? Seigneur.
 
HIPPOLYTE
Je me suis engag� trop avant.
Je vois que la raison c�de � la violence.
Puisque j'ai commenc� de rompre le silence,
Madame, il faut poursuivre : il faut vous informer
D'un secret que mon coeur ne peut plus renfermer.
Vous voyez devant vous un prince d�plorable,
D'un t�m�raire orgueil exemple m�morable.
Moi qui, contre l'amour fi�rement r�volt�,
Aux fers de ses captifs ai longtemps insult� ;
Qui des faibles mortels d�plorant les naufrages,
Pensais toujours du bord contempler les orages ;
Asservi maintenant sous la commune loi,
Par quel trouble me vois-je emport� loin de moi ?
Un moment a vaincu mon audace imprudente :
Cette �me si superbe est enfin d�pendante.
Depuis pr�s de six mois, honteux, d�sesp�r�,
Portant partout le trait dont je suis d�chir�,
Contre vous, contre moi, vainement je m'�prouve :
Pr�sente je vous fuis, absente je vous trouve ;
Dans le fond des for�ts votre image me suit ;
La lumi�re du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace � mes yeux les charmes que j'�vite,
Tout vous livre � l'envi le rebelle Hippolyte.
Moi-m�me, pour tout fruit de mes soins superflus,
Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus.
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune.
Je ne me souviens plus des le�ons de Neptune.
Mes seuls g�missements font retentir les bois,
Et mes coursiers oisifs ont oubli� ma voix.
Peut-�tre le r�cit d'un amour si sauvage
Vous fait en m'�coutant rougir de votre ouvrage.
D'un coeur qui s'offre � vous quel farouche entretien !
Quel �trange captif pour un si beau lien !
Mais l'offrande � vos yeux en doit �tre plus ch�re.
Songez que je vous parle une langue �trang�re,
Et ne rejetz pas des voeux mal exprim�s,
Qu'Hippolyte sans vous n'aurait jamais form�s.
 
 
SCENE III - HIPPOLYTE, ARICIE, THERAMENE, ISMENE
 
 
THERAMENE
Seigneur, la reine vient, et je l'ai devanc�e.
Elle vous cherche.
 
HIPPOLYTE
Moi ?
 
THERAMENE
J'ignore sa pens�e,
Mais on vous est venu demander de sa part.
Ph�dre veut vous parler avant votre d�part.
 
HIPPOLYTE
Ph�dre ? Que lui dirai-je ? Et que peut-elle attendre...
 
ARICIE
Seigneur, vous ne pouvez refuser de l'entendre.
Quoique trop convaincu de son inimiti�,
Vous devez � ses pleurs quelque ombre de piti�.
 
HIPPOLYTE
Cependant vous sortez. Et je pars. Et j'ignore
Si je n'offense point les charmes que j'adore.
J'ignore si ce coeur que je laisse en vos mains...
 
ARICIE
Partez, Prince, et suivez vos g�n�reux desseins.
Rendez de mon pouvoir Ath�nes tributaire.
J'accepte tous les dons que vous voulez me faire.
Mais cet Empire enfin si grand, si glorieux,
N'est pas de vos pr�sents le plus cher � mes yeux.
 
 
SCENE IV - HIPPOLYTE, THERAMENE
 
 
HIPPOLYTE
Ami, tout est-il pr�t ? Mais la Reine s'avance.
Va, que pour le d�part tout s'arme en diligence.
Fais donner le signal, cours, ordonne et revien
Me d�livrer bient�t d'un f�cheux entretien.
 
 
SCENE V - PHEDRE, HIPPOLYTE, OENONE
 
 
PHEDRE � OENONE
Le voici. Vers mon coeur tout mon sang se retire.
J'oublie, en le voyant, ce que je viens lui dire.
 
OENONE
Souvenez-vous d'un fils qui n'esp�re qu'en vous.
 
PHEDRE
On dit qu'un prompt d�part vous �loigne de nous,
Seigneur. A vos douleurs je viens joindre mes larmes.
Je vous viens pour un fils expliquer mes alarmes.
Mon fils n'a plus de p�re, et le jour n'est pas loin
Qui de ma mort encor doit le rendre t�moin.
D�j� mille ennemis attaquent son enfance ;
Vous seul pouvez contre eux embrasser sa d�fense.
Mais un secret remords agite mes esprits.
Je crains d'avoir ferm� votre oreille � ses cris.
Je tremble que sur lui votre juste col�re
Ne poursuive bient�t une odieuse m�re.
 
HIPPOLYTE
Madame, je n'ai point des sentiments si bas.
 
PHEDRE
Quand vous me ha�riez, je ne m'en plaindrais pas,
Seigneur. Vous m'avez vue attach�e � vous nuire ;
Dans le fond de mon coeur vous ne pouviez pas lire.
A votre inimiti� j'ai pris soin de m'offrir.
Aux bords que j'habitais je n'ai pu vous souffrir.
En public, en secret, contre vous d�clar�e,
J'ai voulu par des mers en �tre s�par�e ;
J'ai m�me d�fendu par une expresse loi
Qu'on os�t prononcer votre nom devant moi.
Si pourtant � l'offense on mesure la peine,
Si la haine peut seule attirer votre haine,
Jamais femme ne fut plus digne de piti�,
Et moins digne, Seigneur, de votre inimiti�.
 
HIPPOLYTE
Des droits de ses enfants une m�re jalouse
Pardonne rarement au fils d'une autre �pouse.
Madame, je le sais. Les soup�ons importuns
Sont d'un second hymen les fruits les plus communs.
Toute autre aurait pour moi pris les m�mes ombrages,
Et j'en aurais peut-�tre essuy� plus d'outrages.
 
PHEDRE
Ah ! Seigneur, que le Ciel, j'ose ici l'attester,
De cette loi commune a voulu m'excepter !
Qu'un soin bien diff�rent me trouble et me d�vore !
 
HIPPOLYTE
Madame, il n'est pas temps de vous troubler encore.
Peut-�tre votre �poux voit encore le jour ;
Le ciel peut � nos pleurs accorder son retour.
Neptune le prot�ge, et ce Dieu tut�laire
Ne sera pas en vain implor� par mon p�re.
 
PHEDRE
On ne voit point deux fois le rivage des morts,
Seigneur. Puisque Th�s�e a vu les sombres bords,
En vain vous esp�rez qu'un Dieu vous le renvoie,
Et l'avare Ach�ron ne l�che point sa proie.
Que dis-je ? Il n'est point mort, puisqu'il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois vois mon �poux.
Je le vois, je lui parle, et mon coeur... Je m'�gare,
Seigneur ; ma folle ardeur malgr� moi se d�clare.
 
HIPPOLYTE
Je vois de votre amour l'effet prodigieux.
Tout mort qu'il est, Th�s�e est pr�sent � vos yeux ;
Toujours de son amour votre �me est embras�e.
 
PHEDRE
Oui, Prince, je languis, je br�le pour Th�s�e.
Je l'aime, non point tel que l'ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du Dieu des morts d�shonorer la couche ;
Mais fid�le, mais fier, et m�me un peu farouche,
Charmant, jeune, tra�nant tous les coeurs apr�s soi,
Tel qu'on d�peint nos Dieux, ou tel que je vous voi.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage,
Cette noble pudeur colorait son visage,
Lorsque de notre Cr�te il traversa les flots,
Digne sujet des voeux des filles de Minos.
Que faisiez-vous alors ? Pourquoi sans Hyppolyte
Des h�ros de la Gr�ce assembla-t-il l'�lite ?
Pourquoi, trop jeune encor, ne p�tes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?
Par vous aurait p�ri le monstre de la Cr�te,
Malgr� tous les d�tours de sa vaste retraite.
Pour en d�velopper l'embarras incertain,
Ma soeur du fil fatal e�t arm� votre main.
Mais non, dans ce dessein je l'aurais devanc�e :
L'amour m'en e�t d'abord inspir� la pens�e.
C'est moi, Prince, c'est moi dont l'utile secours
Vous e�t du Labyrinthe enseign� les d�tours.
Que de soins m'e�t co�t� cette t�te charmante !
Un fil n'e�t point assez rassur� votre amante.
Compagne du p�ril qu'il vous fallait chercher,
Moi-m�me devant vous j'aurais voulu marcher ;
Et Ph�dre, au Labyrinthe avec vous descendue,
Se serait avec vous retrouv�e ou perdue.
 
HIPPOLYTE
Dieux ! qu'est-ce que j'entends ? Madame, oubliez-vous
Que Th�s�e est mon p�re et qu'il est votre �poux ?
 
PHEDRE
Et sur quoi jugez-vous que j'en perds la m�moire,
Prince ? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire; ?
 
HIPPOLYTE
Madame, pardonnez. J'avoue, en rougissant,
Que j'accusais � tort un discours innocent.
Ma honte ne peut plus soutenir votre vue ;
Et je vais...
 
PHEDRE
Ah ! cruel, tu m'as trop entendue.
Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur.
H� bien ! connais donc Ph�dre et toute sa fureur.
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente � mes yeux je m'approuve moi-m�me,
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma l�che complaisance ait nourri le poison.
Objet infortun� des vengeances c�lestes,
Je m'abhorre encor plus que tu ne me d�testes.
Les Dieux m'en sont t�moins, ces Dieux qui dans mon flanc
Ont allum� le feu fatal � tout mon sang,
Ces Dieux qui se sont fait une gloire; cruelle
De s�duire le coeur d'une faible mortelle.
Toi-m�me en ton esprit rappelle le pass�.
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chass�.
J'ai voulu te para�tre odieuse, inhumaine.
Pour mieux te r�sister, j'ai recherch� ta haine.
De quoi m'ont profit� mes inutiles soins ?
Tu me ha�ssais plus, je ne t'aimais pas moins.
Tes malheurs te pr�taient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai s�ch�, dans les feux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.
Que dis-je ? Cet aveu que je viens de te faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n'osais trahir,
Je te venais prier de ne le point ha�r.
Faibles projets d'un coeur trop plein de ce qu'il aime !
H�las ! je ne t'ai pu parler que de toi-m�me.
Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour.
Digne fils du h�ros qui t'a donn� le jour,
D�livre l'univers d'un monstre qui t'irrite.
La veuve de Th�s�e ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'�chapper.
Voil� mon coeur. C'est l� que ta main doit frapper.
Impatient d�j� d'expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance.
Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m'envie un supplice si doux,
Ou si d'un sang trop vil ta main serait tremp�e,
Au d�faut de ton bras pr�te-moi ton �p�e.
Donne.
 
OENONE
Que faites-vous, Madame ? Justes Dieux !
Mais on vient. Evitez des t�moins odieux ;
Venez, rentrez, fuyez une honte certaine.
 
 
SCENE VI - HIPPOLYTE, THERAMENE
 
 
THERAMENE
Est-ce Ph�dre qui fuit, ou plut�t qu'on entra�ne ?
Pourquoi, Seigneur, pourquoi ces marques de douleur ?
Je vous vois sans �p�e, interdit, sans couleur ?
 
HIPPOLYTE
Th�ram�ne, fuyons. Ma surprise est extr�me.
Je ne puis sans horreur me regarder moi-m�me.
Ph�dre... Mais non, grands Dieux ! qu'en un profond oubli
Cet horrible secret demeure enseveli.
 
THERAMENE
Si vous voulez partir, la voile est pr�par�e.
Mais Ath�nes, Seigneur, s'est d�j� d�clar�e.
Ses chefs ont pris les voix de toutes ses tribus.
Votre fr�re l'emporte, et Ph�dre a le dessus.
 
HIPPOLYTE
Ph�dre ?
 
THERAMENE
Un h�raut charg� des volont�s d'Ath�nes
De l'Etat en ses mains vient remettre les r�nes.
Son fils est roi, Seigneur.
 
HIPPOLYTE
Dieux, qui la connaissez,
Est-ce donc sa vertu que vous r�compensez ?
 
THERAMENE
Cependant un bruit sourd veut que le Roi respire.
On pr�tend que Th�s�e a paru dans l'Epire.
Mais moi qui l'y cherchai, Seigneur, je sais trop bien...
 
HIPPOLYTE
N'importe, �coutons tout, et ne n�gligeons rien.
Examinons ce bruit, remontons � sa source.
S'il ne m�rite pas d'interrompre ma course,
Partons ; et quelque prix qu'il en puisse co�ter,
Mettons le sceptre aux mains dignes de le porter.
 
 
ACTE III
--------
 
 
SCENE I - PHEDRE, OENONE
 
PHEDRE
Ah ! que l'on porte ailleurs les honneurs qu'on m'envoie.
Importune, peux-tu souhaiter qu'on me voie ?
De quoi viens-tu flatter mon esprit d�sol� ?
Cache-moi bien plut�t, je n'ai que trop parl�.
Mes fureurs au-dehors ont os� se r�pandre.
J'ai dit ce que jamais on ne devait entendre.
Ciel ! comme il m'�coutait ! Par combien de d�tours
L'insensible a longtemps �lud� mes discours !
Comme il ne respirait qu'une retraite prompte !
Et combien sa rougeur a redoubl� ma honte !
Pourquoi d�tournais-tu mon funeste dessein ?
H�las ! quand son �p�e allait chercher mon sein,
A-t-il p�li pour moi ? me l'a-t-il arrach�e ?
Il suffit que ma main l'ait une fois touch�e,
Je l'ai rendue horrible � ses yeux inhumains ;
Et ce fer malheureux profanerait ses mains.
 
OENONE
Ainsi dans vos malheurs ne songeant qu'� vous plaindre,
Vous nourrissez un feu qu'il vous faudrait �teindre.
Ne vaudrait-il pas mieux, digne sang de Minos,
Dans de plus nobles soins chercher votre repos,
Contre un ingrat qui pla�t recourir � la fuite,
R�gner, et de l'Etat embrasser la conduite ?
 
PHEDRE
Moi r�gner ! Moi ranger un Etat sous ma loi,
Quand ma faible raison ne r�gne plus sur moi !
Lorsque j'ai de mes sens abandonn� l'empire !
Quand sous un joug honteux � peine je respire !
Quand je me meurs !
 
OENONE
Fuyez.
 
PHEDRE
Je ne le puis quitter.
 
OENONE
Vous l'os�tes bannir, vous n'osez l'�viter.
 
PHEDRE
Il n'est plus temps. Il sait mes ardeurs insens�es.
De l'aust�re pudeur les bornes sont pass�es.
J'ai d�clar� ma honte aux yeux de mon vainqueur,
Et l'espoir, malgr� moi, s'est gliss� dans mon coeur.
Toi-m�me, rappelant ma force d�faillante,
Et mon �me d�j� sur mes l�vres errante,
Par tes conseils flatteurs tu m'as su ranimer.
Tu m'as fait entrevoir que je pouvais l'aimer.
 
OENONE
H�las ! de vos malheurs innocente ou coupable,
De quoi pour vous sauver n'�tais-je point capable ?
Mais si jamais l'offense irrita vos esprits,
Pouvez-vous d'un superbe oublier les m�pris ?
Avec quels yeux cruels sa rigueur obstin�e
Vous laissait � ses pieds peu s'en faut prostern�e !
Que son farouche orgueil le rendait odieux !
Que Ph�dre en ce moment n'avait-elle mes yeux !
 
PHEDRE
OEnone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse.
Nourri dans les for�ts, il en a la rudesse.
Hippolyte, endurci par de sauvages lois,
Entend parler d'amour pour la premi�re fois.
Peut-�tre sa surprise a caus� son silence,
Et nos plaintes peut-�tre ont trop de violence.
 
OENONE
Songez qu'une barbare en son sein l'a form�.
 
PHEDRE
Quoique Scythe et barbare, elle a pourtant aim�.
 
OENONE
Il a pour tout le sexe une haine fatale.
 
PHEDRE
Je ne me verrai point pr�f�rer de rivale.
Enfin tous tes conseils ne sont plus de saison.
Sers ma fureur, OEnone, et non point ma raison.
Il oppose � l'amour un coeur inaccessible :
Cherchons, pour l'attaquer, quelque endroit plus sensible.
Les charmes d'un Empire ont paru le toucher ;
Ath�nes l'attirait, il n'a su s'en cacher ;
D�j� de ses vaisseaux la pointe �tait tourn�e,
Et la voile flottait aux vents abandonn�e.
Va trouver de ma part ce jeune ambitieux,
OEnone. Fais briller la couronne � ses yeux.
Qu'il mette sur son front le sacr� diad�me ;
Je ne veux que l'honneur de l'attacher moi-m�me.
C�dons-lui ce pouvoir que je ne puis garder.
Il instruira mon fils dans l'art de commander.
Peut-�tre il voudra bien lui tenir lieu de p�re.
Je mets sous son pouvoir et le fils et la m�re.
Pour le fl�chir enfin tente tous les moyens :
Tes discours trouveront plus d'acc�s que les miens.
Presse, pleure, g�mis, peins-lui Ph�dre mourante,
Ne rougis point de prendre une voix suppliante.
Je t'avo�rai de tout ; je n'esp�re qu'en toi.
Va, j'attends ton retour pour disposer de moi.
 
 
SCENE II - PHEDRE
 
PHEDRE
O toi, qui vois la honte o� je suis descendue,
Implacable V�nus, suis-je assez confondue ?
Tu ne saurais plus loin pousser ta cruaut�.
Ton triomphe est parfait ; tous tes traits ont port�.
Cruelle, si tu veux une gloire; nouvelle,
Attaque un ennemi qui te soit plus rebelle.
Hippolyte te fuit, et bravant ton courroux,
Jamais � tes autels n'a fl�chi ses genoux.
Ton nom semble offenser ses superbes oreilles.
D�esse, venge-toi : nos causes sont pareilles.
Qu'il aime. Mais d�j� tu reviens sur tes pas,
OEnone ? On me d�teste, on ne t'�coute pas.
 
 
SCENE III - PHEDRE, OENONE
 
 
OENONE
Il faut d'un vain amour �touffer la pens�e,
Madame. Rappelez votre vertu pass�e.
Le Roi, qu'on a cru mort, va para�tre � vos yeux ;
Th�s�e est arriv�, Th�s�e est en ces lieux.
Le peuple, pour le voir, court et se pr�cipite.
Je sortais par votre ordre, et cherchais Hippolyte ,
Lorsque jusques au ciel mille cris �lanc�s...
 
PHEDRE
Mon �poux est vivant, OEnone, c'est assez.
J'ai fait l'indigne aveu d'un amour qui l'outrage,
Il vit. Je ne veux pas en savoir davantage.
 
OENONE
Quoi ?
 
PHEDRE
Je te l'ai pr�dit, mais tu n'as pas voulu.
Sur mes justes remords tes pleurs ont pr�valu.
Je mourais ce matin digne d'�tre pleur�e ;
J'ai suivi tes conseils, je meurs d�shonor�e.
 
OENONE
Vous mourez ?
 
PHEDRE
Juste ciel ! qu'ai-je fait aujourd'hui ?
Mon �poux va para�tre, et son fils avec lui.
Je verrai le t�moin de ma flamme adult�re
Observer de quel front j'ose aborder son p�re,
Le coeur gros de soupirs qu'il n'a point �cout�s,
L'oeil humide de pleurs par l'ingrat rebut�s.
Penses-tu que sensible � l'honneur de Th�s�e,
Il lui cache l'ardeur dont je suis embras�e ?
Laissera-t-il trahir et son p�re et son roi ?
Pourra-t-il contenir l'horreur qu'il a pour moi ?
Il se tairait en vain. Je sais mes perfidies,
Oenone, et ne suis point de ces femmes hardies
Qui go�tant dans le crime une tranquille paix,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.
Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes.
Il me semble d�j� que ces murs, que ces vo�tes
Vont prendre la parole, et pr�ts � m'accuser,
Attendent mon �poux pour le d�sabuser.
Mourons. De tant d'horreurs qu'un tr�pas me d�livre.
Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre ?
La mort aux malheureux ne cause point d'effroi.
Je ne crains que le nom que je laisse apr�s moi.
Pour mes tristes enfants quel affreux h�ritage !
Le sang de Jupiter doit enfler leur courage ;
Mais quelque juste orgueil qu'inspire un sang si beau,
Le crime d'une m�re est un pesant fardeau.
Je tremble qu'un discours, h�las ! trop v�ritable,
Un jour ne leur reproche une m�re coupable.
Je tremble qu'opprim�s de ce poids odieux
L'un ni l'autre jamais n'ose lever les yeux.
 
OENONE
Il n'en faut point douter, je les plains l'un et l'autre ;
Jamais crainte ne fut plus juste que la v�tre.
Mais � de tels affronts pourquoi les exposer ?
Pourquoi contre vous-m�me allez-vous d�poser ?
C'en est fait : on dira que Ph�dre, trop coupable,
De son �poux trahi fuit l'aspect redoutable.
Hippolyte est heureux qu'aux d�pens de vos jours
Vous-m�me en expirant appuyez ses discours.
A votre accusateur que pourrai-je r�pondre ?
Je serai devant lui trop facile � confondre.
De son triomphe affreux je le verrai jouir,
Et conter votre honte � qui voudra l'ou�r.
Ah ! que plut�t du ciel la flamme me d�vore !
Mais ne me trompez point, vous est-il cher encore ?
De quel oeil voyez-vous ce prince audacieux ?
 
PHEDRE
Je le vois comme un monstre effroyable � mes yeux.
 
OENONE
Pourquoi donc lui c�der une victoire enti�re ?
Vous le craignez. Osez l'accuser la premi�re
Du crime dont il peut vous charger aujourd'hui.
Qui vous d�mentira ? Tout parle contre lui :
Son �p�e en vos mains heureusement laiss�e,
Votre trouble pr�sent, votre douleur pass�e,
Son p�re par vos cris d�s longtemps pr�venu,
Et d�j� son exil par vous-m�me obtenu.
 
PHEDRE
Moi, que j'ose opprimer et noircir l'innocence !
 
OENONE
Mon z�le n'a besoin que de votre silence.
Tremblante comme vous, j'en sens quelque remords.
Vous me verriez plus prompte affronter mille morts.
Mais puisque je vous perds sans ce triste rem�de,
Votre vie est pour moi d'un prix � qui tout c�de.
Je parlerai. Th�s�e, aigri par mes avis,
Bornera sa vengeance � l'exil de son fils.
Un p�re en punissant, Madame, est toujours p�re.
Un supplice l�ger suffit � sa col�re.
Mais le sang innocent d�t-il �tre vers�,
Que ne demande point votre honneur menac� ?
C'est un tr�sor trop cher pour oser le commettre.
Quelque loi qu'il vous dicte, il faut vous y soumettre,
Madame, et pour sauver votre honneur combattu,
Il faut imoler tout, et m�me la vertu.
On vient, je vois Th�s�e.
 
PHEDRE
Ah ! je vois Hippolyte,
Dans ses yeux insolents, je vois ma perte �crite.
Fais ce que tu voudras, je m'abandonne � toi.
Dans le trouble o� je suis, je ne peux rien pour moi
 
 
SCENE IV - THESEE, HIPPOLYTE, PHEDRE, OENONE, THERAMENE
 
 
THESEE
La fortune � mes voeux cesse d'�tre oppos�e,
Madame, et dans vos bras met...
 
PHEDRE
Arr�tez, Th�s�e,
Et ne profanez point des transports si charmants.
Je ne m�rite plus ces doux empressements.
Vous �tes offens�. La fortune jalouse
N'a pas en votre absence �pargn� votre �pouse.
Indigne de vous plaire et de vous approcher,
Je ne dois d�sormais songer qu'� me cacher.
 
 
SCENE V - THESEE, HIPPOLYTE, THERAMENE
 
 
THESEE
Quel est l'�trange accueil qu'on fait � votre p�re,
Mon fils ?
 
HIPPOLYTE
Ph�dre peut seule expliquer ce myst�re.
Mais si mes voeux ardents vous peuvent �mouvoir,
Permettez-moi, Seigneur, de ne la plus revoir ;
Souffrez que pour jamais le tremblant Hippolyte
Disparaisse des lieux que votre �pouse habite.
 
THESEE
Vous, mon fils, me quitter ?
 
HIPPOLYTE
Je ne la cherchais pas.
C'est vous qui sur ces bords conduisites ses pas.
Vous daign�tes, Seigneur, aux rives de Tr�z�ne
Confier en partant Aricie et la Reine :
Je fus m�me charg� du soin de les garder.
Mais quels soins d�sormais peuvent me retarder ?
Assez dans les for�ts mon oisive jeunesse
Sur de vils ennemis a montr� son adresse.
Ne pourrai-je, en fuyant un indigne repos,
D'un sang plus glorieux teindre mes javelots ?
Vous n'aviez pas encore atteint l'�ge o� je touche,
D�j� plus d'un tyran, plus d'un monstre farouche
Avait de votre bras senti la pesanteur ;
D�j�, de l'insolent heureux pers�cuteur,
Vous aviez des deux mers assur� les rivages,
Le libre voyageur ne craignait plus d'outrages,
Hercule, respirant sur le bruit de vos coups,
D�j� de son travail se reposait sur vous.
Et moi, fils inconnu d'un si glorieux p�re,
Je suis m�me encor loin des traces de ma m�re.
Souffrez que mon courage ose enfin s'occuper.
Souffrez, si quelque monstre a pu vous �chapper,
Que j'apporte � vos pieds sa d�pouille honorable ;
Ou que d'un beau tr�pas la m�moire durable,
Eternisant des jours si noblement finis,
Prouve � tout l'univers que j'�tais votre fils.
 
THESEE
Que vois-je ? Quelle horreur dans ces lieux r�pandue
Fait fuir devant mes yeux ma famille �perdue ?
Si je reviens si craint et si peu d�sir�,
O ciel ! de ma prison pourquoi m'as-tu tir� ?
Je n'avais qu'un ami. Son impudente flamme
Du tyran de l'Epire allait ravir la femme ;
Je servais � regret ses desseins amoureux ;
Mais le sort irrit� nous aveuglait tous deux.
Le tyran m'a surpris sans d�fense et sans armes.
J'ai vu Piritho�s, triste objet de mes larmes,
Livr� par ce barbare � des monstres cruels
Qu'il nourrissait du sang des malheureux mortels.
Moi-m�me, il m'enferma dans des cavernes sombres,
Lieux profonds, et voisins de l'empire des ombres.
Les Dieux, apr�s six mois, enfin m'ont regard� :
J'ai su tromper les yeux de qui j'�tais gard�.
D'un perfide ennemi j'ai purg� la nature ;
A ses monstres lui-m�me a servi de p�ture ;
Et losrque avec transport je pense m'approcher
De tout ce que les Dieux m'ont laiss� de plus cher ;
Que dis-je ? Quand mon �me, � moi-m�me rendue,
Vient se rassasier d'une si ch�re vue,
Je n'ai pour tout accueil que des fr�missements :
Tout fuit, tout se refuse � mes embrassements.
Et moi-m�me, �prouvant la terreur que j'inspire,
Je voudrais �tre encor dans les prisons d'Epire.
Parlez. Ph�dre se plaint que je suis outrag�.
Qui m'a trahi ? Pourquoi ne suis-je pas veng� ?
La Gr�ce, � qui mon bras fut tant de fois utile,
A-t-elle au criminel accord� quelque asile ?
Vous ne r�pondez point. Mon fils, mon propre fils
Est-il d'intelligence avec mes ennemis ?
Entrons. C'est trop garder un doute qui m'accable.
Connaissons � la fois le crime et le coupable.
Que Ph�dre explique enfin le trouble o� je la voi.
 
 
SCENE VI - HIPPOLYTE, THERAMENE
 
 
HIPPOLYTE
O� tendait ce discours qui m'a glac� d'effroi ?
Ph�dre, toujours en proie � sa fureur extr�me,
Veut-elle s'accuser et se perdre elle-m�me !
Dieux ! que dira le Roi ! Quel funeste poison
L'amour a r�pandu sur toute sa maison !
Moi-m�me, plein d'un feu que sa haine r�prouve,
Quel il m'a vu jadis, et quel il me retrouve !
De noirs pressentiments viennent m'�pouvanter.
Mais l'innocence enfin n'a rien � redouter.
Allons, cherchons ailleurs par quelle heureuse adresse
Je pourrai de mon p�re �mouvoir la tendresse,
Et lui dire un amour qu'il peut vouloir troubler,
Mais que tout son pouvoir ne saurait �branler.
 
 
ACTE IV
-------
 
 
SCENE I - THESEE, OENONE
 
 
THESEE
Ah ! qu'est-ce que j'entends ? Un tra�tre, un t�m�raire
Pr�parait cet outrage � l'honneur de son p�re ?
Avec quelle rigueur, Destin, tu me poursuis !
Je ne sais o� je vais, je ne sais o� je suis.
O tendresse ! � bont� trop mal r�compens�e !
Projet audacieux ! d�testable pens�e !
Pour parvenir au but de ses noires amours,
L'insolent de la force empruntait le secours.
J'ai reconnu le fer, instrument de sa rage,
Ce fer dont je l'armai pour un plus noble usage.
Tous les liens du sang n'ont pu le retenir !
Et Ph�dre diff�rait � le faire punir !
Le silence de Ph�dre �pargnait le coupable !
 
OENONE
Ph�dre �pargnait plut�t un p�re d�plorable.
Honteuse du dessein d'un amant furieux
Et du feu criminel qu'il a pris dans ses yeux,
Ph�dre mourait, Seigneur, et sa main meurti�re
Eteignait de ses yeux l'innocente lumi�re.
J'ai vu lever le bras, j'ai couru la sauver.
Moi seule � votre amour j'ai su la conserver ;
Et, plaignant � la fois son trouble et vos alarmes,
J'ai servi malgr� moi d'interpr�te � ses larmes.
 
THESEE
Le perfide ! Il n'a pu s'emp�cher de p�lir.
De crainte, en m'abordant, je l'ai vu tressaillir.
Je me suis �tonn� de son peu d'all�gresse,
Ses froids embrassements ont glac� ma tendresse.
Mais ce coupable amour dont il est d�vor�
Dans Ath�nes d�j� s'�tait-il d�clar� ?
 
OENONE
Seigneur, souvenez-vous des plaintes de la Reine.
Un amour criminel causa toute sa haine.
 
THESEE
Et ce feu dans Tr�z�ne a donc recommenc� ?
 
OENONE
Je vous ai dit, Seigneur, tout ce qui s'est pass�.
C'est trop laisser la Reine � sa douleur mortelle ;
Souffrez que je vous quitte et me range aupr�s d'elle.
 
 
SCENE II - THESEE, HIPPOLYTE
 
 
THESEE
Ah ! le voici. Grands Dieux ! � ce noble maintien
Quel oeil ne serait pas tromp� comme le mien ?
Faut-il que sur le front d'un profane adult�re
Brille de la vertu le sacr� caract�re ?
Et ne devrait-on pas � des signes certains
Reconna�tre le coeur des perfides humains ?
 
HIPPOLYTE
Puis-je vous demander quel funeste nuage,
Seigneur, a pu troubler votre auguste visage ?
N'osez-vous confier ce secret � ma foi ?
 
THESEE
Perfide, oses-tu bien te montrer devant moi ?
Monstre, qu'a trop longtemps �pargn� le tonnerre,
Reste impur des brigands dont j'ai purg� la terre !
Apr�s que le transport d'un amour plein d'horreur
Jusqu'au lit de ton p�re a port� sa fureur,
Tu m'oses pr�senter une t�te ennemie,
Tu parais dans des lieux pleins de ton infamie,
Et ne vas pas chercher, sous un ciel inconnu,
Des pays o� mon nom ne soit pas parvenu.
Fuis, tra�tre. Ne viens point braver ici ma haine,
Et tenter un courroux que je retiens � peine.
C'est bien assez pour moi de l'opprobre �ternel
D'avoir pu mettre au jour un fils si criminel,
Sans que ta mort encor, honteuse � ma m�moire,
De mes nobles travaux vienne souiller la gloire;.
Fuis, et si tu ne veux qu'un chat�ment soudain
T'ajoute aux sc�l�rats qu'a punis cette main,
Prends garde que jamais l'astre qui nous �claire
Ne te voie en ces lieux mettre un pied t�m�raire.
Fuis, dis-je, et sans retour pr�cipitant tes pas,
Se ton horrible aspect purge tous mes �tats.
Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage
D'inf�mes assassins nettoya ton rivage,
Souviens-toi que pour prix de mes efforts heureux,
Tu promis d'exercer le premier de mes voeux.
Dans les longues rigueurs d'une prison cruelle
Je n'ai point implor� ta puissance immortelle.
Avare du secours que j'attends de tes soins,
Mes voeux t'ont r�serv� pour de plus grans besoins.
Je t'implore aujourd'hui. Venge un malheureux p�re.
J'abandonne ce tra�tre � toute ta col�re.
Etouffe dans son sang ses d�sirs effront�s.
Th�s�e � tes fureurs conna�tra tes bont�s.
 
HIPPOLYTE
D'un amour criminel Ph�dre accuse Hippolyte !
Un tel exc�s d'horreur rend mon �me interdite ;
Tant de coups impr�vus m'accablent � la fois
Qu'ils m'�tent la parole et m'�touffent la voix.
 
THESEE
Tra�tre, tu pr�tendais qu'en un l�che silence
Ph�dre ensevelirait ta brutale insolence.
Il fallait, en fuyant, ne pas abandonner
Le fer qui dans ses mains aide � te condamner ;
Ou plut�t il fallait, comblant ta perfidie,
Lui ravir tout d'un coup la parole et la vie.
 
HIPPOLYTE
D'un mensonge si noir justement irrit�,
Je devrais faire ici parler la v�rit�,
Seigneur. Mais je supprime un secret qui vous touche.
Approuvez le respect qui me ferme la bouche ;
Et sans vouloir vous-m�me augmenter vos ennuis,
Examinez ma vie, et songez qui je suis.
Quelques crimes toujours pr�c�dent les grands crimes.
Quiconque a pu franchir les bornes l�gitimes
Peut violer enfin les droits les plus sacr�s ;
Ainsi que la vertu, le crime a ses degr�s,
Et jamais on n'a vu la timide innocence
Passer subitement � l'extr�me licence.
Un jour seul ne fait point d'un mortel vertueux
Un perfide assassin, un l�che incestueux.
Elev� dans le sein d'une chaste h�ro�ne,
Je n'ai point de son sang d�menti l'origine.
Pitth�e, estim� sage entre tous les humains,
Daigna m'instruire encore au sortir de ses mains.
Je ne veux point me peindre avec trop d'avantage ;
Mais si quelque vertu m'est tomb�e en partage,
Seigneur, je crois surtout avoir fait �clater
La haine des forfaits qu'on ose m'imputer.
C'est par l� qu'Hippolyte est connu dans la Gr�ce.
J'ai pouss� la vertu jusques � la rudesse.
On sait de mes chagrins l'inflexible rigueur.
Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon coeur.
Et l'on veut qu'Hippolyte, �pris d'un feu profane...
 
THESEE
Oui, c'est ce m�me orgueil, l�che, qui te condamne.
je vois de tes froideurs le principe odieux.
Ph�dre seule charmait tes impudiques yeux.
Et pour tout autre objet ton �me indiff�rente
D�daignait de br�ler d'une flamme innocente.
 
HIPPOLYTE
Non, mon p�re, ce coeur (c'est trop vous le celer)
N'a point d'un chaste amour d�daign� de br�ler.
Je confesse � vos pieds ma v�ritable offense :
J'aime, j'aime, il est vrai, malgr� votre d�fense.
Aricie � ses lois tient mes voeux asservis ;
La fille de Pallante a vaincu votre fils.
Je l'adore, et mon �me, � vos ordres rebelle,
Ne peut ni soupirer ni br�ler que pour elle.
 
THESEE
Tu l'aimes ? Ciel ! Mais non, l'artifice est grossier.
Tu te feins criminel pour te justifier.
 
HIPPOLYTE
Seigneur, depuis six mois, je l'�vite, et je l'aime.
Je venais en tremblant vous le dire � vous-m�me.
H� quoi ! de votre erreur rien ne vous peut tirer ?
Par quel affreux serment faut-il vous rassurer ?
Que la terre, le ciel, que toute la nature...
 
THESEE
Toujours les sc�l�rats ont recours au parjure.
Cesse, cesse, et m'�pargne un importun discours,
Si ta fausse vertu n'a point d'autre recours.
 
HIPPOLYTE
Elle vous para�t fausse et pleine d'artifice.
Ph�dre au fond de son coeur me rend plus de justice.
 
THESEE
Ah ! que ton impudence excite mon courroux !
 
HIPPOLYTE
Quel temps � mon exil, quel lieu prescrivez-vous ?
 
THESEE
Fusse-tu par-del� les colonnes d'Alcide,
Je me croirais encor trop voisin d'un perfide.
 
HIPPOLYTE
Charg� du crime affreux dont vous me soup�onnez,
Quels amis me plaindront, quand vous m'abandonnez ?
 
THESEE
Va chercher des amis dont l'estime funeste
Honore l'adult�re, applaudisse � l'inceste ;
Des tra�tres, des ingrats sans honneur et sans loi,
Dignes de prot�ger un m�chant tel que toi.
 
HIPPOLYTE
Vous me parlez toujours d'inceste et d'adult�re !
Je me tais. Cependant Ph�dre sort d'une m�re,
Ph�dre est d'un sang, Seigneur, vous le savez trop bien,
De toutes ces horreurs plus rempli que le mien.
 
THESEE
Quoi ! ta rage � mes yeux perd toute retenue ?
Pour la derni�re fois, �te-toi de ma vue.
Sors, tra�tre. N'attends pas qu'un p�re furieux
Te fasse avec opprobre arracher de ces lieux.
 
 
SCENE III - THESEE
 
THESEE
Mis�rable, tu cours � ta perte infaillible.
Neptune, par le fleuve aux Dieux m�mes terrible,
M'a donn� sa parole, et va l'ex�cuter.
Un Dieu vengeur te suit, tu ne peux l'�viter.
Je t'aimais ; et je sens que malgr� ton offense,
Mes entrailles pour toi se troublent par avance.
Mais � te condamner tu m'as trop engag�.
Jamais p�re en effet fut-il plus outrag� ?
Justes Dieux, qui voyez la douleur qui m'accable,
Ai-je pu mettre au jour un enfant si coupable ?
 
 
SCENE IV - PHEDRE, THESEE
 
 
PHEDRE
Seigneur, je viens � vous, pleine d'un juste effroi.
Votre voix redoutable a pass� jusqu'� moi.
Je crains qu'un prompt effet n'ai suivi la menace.
S'il en est temps encore, �pargnez votre race,
Respectez votre sang, j'ose vous en prier.
Sauvez-moi de l'horreur de l'entendre crier ;
Ne me pr�parez point la douleur �ternelle
De l'avoir fait r�pandre � la main paternelle.
 
THESEE
Non, Madame, en mon sang ma main n'a point tremp� ;
Mais l'ingrat toutefois ne m'est point �chapp�.
Une immortelle main de sa perte est charg�e.
Neptune me la doit, et vous serez veng�e.
 
PHEDRE
Neptune vous la doit ! Quoi ? vos voeux irrit�s...
 
THESEE
Quoi ! craignez-vous d�j� qu'ils ne soient �cout�s ?
Joignez-vous bien plut�t � mes voeux l�gitimes.
Dans toute leur noirceur retracez-moi ses crimes ;
Echauffez mes transports trop lents, trop retenus.
Tous ses crimes encor ne vous sont pas connus ;
Sa fureur contre vous se r�pand en injures ;
Votre bouche, dit-il, est pleine d'impostures ;
Il soutient qu'Aricie a son coeur, a sa foi,
Qu'il aime.
 
PHEDRE
Quoi, Seigneur !
 
THESEE
Il l'a dit devant moi.
Mais je sais rejeter un frivole artifice.
Esp�rons de Neptune une prompte justice.
Je vais moi-m�me encore, au pied de ses autels,
Le presser d'accomplir ses serments immortels.
 
 
SCENE V - PHEDRE
 
 
PHEDRE
Il sort. Quelle nouvelle a frapp� mon oreille ?
Quel feu mal �touff� dans mon coeur se r�veille ?
Quel coup de foudre, � ciel ! et quel funeste avis !
Je volais toute enti�re au secours de son fils ;
Et m'arrachant des bras d'OEnone �pouvant�e,
Je c�dais au remords dont j'�tais tourment�e.
Qui sait m�me o� m'allait porter ce repentir ?
Peut-�tre � m'accuser j'aurais pu consentir ;
Peut-�tre, si la voix ne m'e�t �t� coup�e,
L'affreuse v�rit� me serait �chapp�e.
Hippolyte est sensible, et ne sent rien pour moi !
Aricie a son coeur ! Aricie a sa foi
Ah, dieux ! Lorsqu'� mes voeux l'ingrat inexorable
S'armait d'un oeil si fier, d'un front si redoutable,
Je pensais qu'� l'amour son coeur toujours ferm�
F�t contre tout mon sexe �galement arm�.
Une autre cependant a fl�chi son audace ;
Devant ses yeux cruels une autre a trouv� gr�ce.
Peut-�tre a-t-il un coeur facile � s'attendrir.
Je suis le seul objet qu'il ne saurait souffrir ;
Et je me chargerais du soin de le d�fendre ?
 
 
SCENE VI - PHEDRE, OENONE
 
 
PHEDRE
Ch�re OEnone, sais-tu ce que je viens d'apprendre ?
 
OENONE
Non ; mais je viens tremblante, � ne vous point mentir.
J'ai p�li du dessein qui vous a fait sortir ;
J'ai craint une fureur � vous-m�me fatale.
 
PHEDRE
OEnone, qui l'e�t cru ? j'avais une rivale.
 
OENONE
Comment ?
 
PHEDRE
Hippolyte aime, et je n'en puis douter.
Ce farouche ennemi qu'on ne pouvait dompter,
Qu'offensait le respect, qu'importunait la plainte,
Ce tigre, que jamais je n'abordai sans crainte,
Soumis, apprivois�, reconna�t un vainqueur :
Aricie a trouv� le chemin de son coeur.
 
OENONE
Aricie ?
 
PHEDRE
Ah ! douleur non encore �prouv�e !
A quel nouveau tourment je me suis r�serv�e !
Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes yeux, l'horreur de mes remords,
Et d'un refus cruel l'insupportable injure
N'�tait qu'un faible essai du tourment que j'endure.
Ils s'aiment ! Par quel charme ont-ils tromp� mes yeux ?
Comment se sont-ils vus ? Depuis quand ? Dans quels lieux ?
Tu le savais. Pourquoi me laissais-tu s�duire ?
De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m'instruire ?
Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher ?
Dans le fond des for�ts allaient-ils se cacher ?
H�las ! ils se voyaient avec pleine licence.
Le ciel de leurs soupirs approuvait l'innocence ;
Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux ;
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.
Et moi, triste rebut de la nature enti�re,
Je me cachais au jour, je fuyais la lumi�re.
La mort est le seul Dieu que j'osais implorer.
J'attendais le moment o� j'allais expirer ;
Me nourrissant de fiel, de larmes abreuv�e,
Encor dans mon malheur de trop pr�s observ�e,
Je n'osais dans mes pleurs me noyer � loisir ;
Je go�tais en tremblant ce funeste plaisir,
Et sous un front serein d�guisant mes alarmes,
Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.
 
OENONE
Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours ?
Ils ne se verront plus.
 
PHEDRE
Ils s'aimeront toujours.
Au moment que je parle, ah ! mortelle pens�e !
Ils bravent la fureur d'une amante insens�e.
Malgr� ce m�me exil qui va les �carter,
Ils font mille serments de ne se point quitter.
Non, je ne puis souffrir un bonheur qui m'outrage,
OEnone. Prends piti� de ma jalouse rage.
Il faut perdre Aricie. Il faut de mon �poux
Contre un sang odieux r�veiller les courroux.
Qu'il ne se borne pas � des peines l�g�res :
Le crime de la soeur passe celui des fr�res.
Dans mes jaloux transports je le veux implorer.
Que fais-je ? O� ma raison va-t-elle s'�garer ?
Moi jalouse ! Et Th�s�e est celui que j'implore !
Mon �poux est vivant, et moi je br�le encore !
Pour qui ? Quel est le coeur o� pr�tendent mes voeux ?
Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux.
Mes crimes d�sormais ont combl� la mesure.
Je respire � la fois l'inceste et l'imposture.
Mes homicides mains, promptes � me venger,
Dans le sang innocent br�lent de se plonger.
Mis�rable ! et je vis ? et je soutiens la vue
De ce sacr� Soleil dont je suis descendue ?
J'ai pour a�eul le p�re et le ma�tre des Dieux ;
Le ciel, tout l'univers est plein de mes a�eux.
O� me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? Mon p�re y tient l'urne fatale ;
Le Sort, dit-on, l'a mise en ses s�v�res mains :
Minos juge aux enfers tous les p�les humains.
Ah ! combien fr�mira son ombre �pouvant�e,
Lorsqu'il verra sa fille � ses yeux pr�sent�e,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers,
Et des crimes peut-�tre inconnus aux enfers !
Que diras-tu, mon p�re, � ce spectacle horrible ?
Je crois voir de ta main tomber l'urne terrible,
Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,
Toi-m�me de ton sang devenir le bourreau.
Pardonne. Un Dieu cruel a perdu ta famille :
Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.
H�las ! du crime affreux dont la honte me suit
Jamais mon triste coeur n'a recueilli le fruit.
Jusqu'au dernier soupir, de malheurs poursuivie,
Je rends dans les tourments une p�nible vie.
 
OENONE
H� ! repoussez, Madame, une injuste terreur.
Regardez d'un autre oeil une excusable erreur.
Vous aimez. On ne peut vaincre sa destin�e.
Par un charme fatal vous f�tes entra�n�e.
Est-ce donc un prodige inou� parmi nous ?
L'amour n'a-t-il encor triomph� que de vous ?
La faiblesse aux humains n'est que trop naturelle.
Mortelle, subissez le sort d'une mortelle.
Vous vous plaignez d'un joug impos� d�s longtemps :
Les Dieux m�me, les Dieux, de l'Olympe habitants,
Qui d'un bruit si terrible �pouvantent les crimes,
Ont br�l� quelquefois de feux ill�gitimes.
 
PHEDRE
Qu'entends-je ! Quels conseils ose-t-on me donner ?
Ainsi donc jusqu'au bout tu veux m'empoisonner.
Malheureuse ! Voil� comme tu m'as perdue.
Au jour que je fuyais c'est toi qui m'as rendue.
Tes pri�res m'ont fait oublier mon devoir.
J'�vitais Hippolyte, et tu me l'as fait voir.
De quoi te chargeais-tu ? Pourquoi ta bouche impie
A-t-elle, en l'accusant, os� noircir sa vie ?
Il en mourra peut-�tre, et d'un p�re insens�
Le sacril�ge voeu peut-�tre est exauc�.
Je ne t'�coute plus. Va-t-en, monstre ex�crable,
Va, laisse-moi le soin de mon sort d�plorable.
Puisse le juste ciel dignement te payer ;
Et puisse ton supplice � jamais effrayer
Tous ceux qui, comme toi, par de l�ches adresses,
Des princes malheureux nourrissent les faiblesses,
Les poussent au penchant o� leur coeur est enclin,
Et leur osent du crime aplanir le chemin ;
D�testables flatteurs, pr�sent le plus funeste
Que puisse faire aux rois la col�re c�leste !
 
OENONE, seule.
Ah, Dieux ! pour la servir j'ai tout fait, tout quitt� ;
Et j'en re�ois ce prix ? Je l'ai bien m�rit�.
 
 
ACTE V
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SCENE I - HIPPOLYTE, ARICIE
 
 
ARICIE
Quoi ! vous pouvez vous taire en ce p�ril extr�me ?
Vous laissez dans l'erreur un p�re qui vous aime ?
Cruel, si de mes pleurs m�prisant le pouvoir,
Vous consentez sans peine � ne plus me revoir,
Partez, s�parez-vous de la triste Aricie.
Mais du moins en partant assurez votre vie.
D�fendez votre honneur d'un reproche honteux,
Et forcez votre p�re � r�voquer ses voeux.
Il en est temps encor. Pourquoi, par quel caprice,
Laissez-vous le champ libre � votre accusatrice ?
Eclaircissez Th�s�e.
 
HIPPOLYTE
H� ! que n'ai-je point dit ?
Ai-je d� mettre au jour l'opprobre de son lit ?
Devais-je, en lui faisant un r�cit trop sinc�re,
D'une indigne rougeur couvrir le front d'un p�re ?
Vous seule avez perc� ce myst�re odieux.
Mon coeur pour s'�pancher n'a que vous et les Dieux.
Je n'ai pu vous cacher, jugez si je vous aime,
Tout ce que je voulais me cacher � moi-m�me.
Mais songez sous quel sceau je vous l'ai r�v�l�.
Oubliez, s'il se peut, que je vous ai parl�,
Madame. Et que jamais une bouche si pure
Ne s'ouvre pour conter cette horrible aventure.
Sur l'�quit� des Dieux osons nous confier :
Ils ont trop d'int�r�t � me justifier ;
Et Ph�dre, t�t ou tard de son crime punie,
N'en saurait �viter la juste ignominie.
C'est l'unique respect que j'exige de vous.
Je permets tout le reste � mon libre courroux.
Sortez de l'sclavage o� vous �tes r�duite.
Osez me suivre. Osez accompagner ma fuite.
Arrachez-vous d'un lieu funeste et profan�,
O� la vertu respire un air empoisonn� ;
Profitez, pour cacher votre prompte retraite,
De la confusion que ma disgr�ce y jette.
Je vous puis de la fuite assurer les moyens ;
Vous n'avez jusqu'ici de gardes que les miens ;
De puissants d�fenseurs prendront notre querelle ;
Argos nous tend les bras, et Sparte nous appelle.
A nos amis communs portons nos justes cris ;
Ne souffrons pas que Ph�dre, assemblant nos d�bris,
Du tr�ne paternel nous chasse l'un et l'autre,
Et promette � son fils ma d�pouille et la v�tre.
L'occasion est belle, il la faut embrasser.
Quelle peur vous retient ? Vous semblez balancer ?
Votre seul int�r�t m'inspire cette audace.
Quand je suis tout de feu, d'o� vous vient cette glace ?
Sur les pas d'un banni craignez-vous de marcher ?
 
ARICIE
H�las ! qu'un tel exil, Seigneur, me serait cher !
Dans quels ravissements, � votre sort li�e,
Du reste des mortels je vivrais oubli�e !
Mais n'�tant point li�s par un lien si doux,
Me puis avec honneur d�rober avec vous ?
Je sais que sans blesser l'honneur le plus s�v�re,
Je me puis affranchir des mains de votre p�re :
Ce n'est point m'arracher du sein de mes parents,
Et la fuite est permise � qui fuit ses tyrans.
Mais vous m'aimez, Seigneur ; et ma gloire; alarm�e...
 
HIPPOLYTE
Non, non, j'ai trop de soin de votre renomm�e.
Un plus noble dessein m'am�ne devant vous :
Fuyez vos ennemis, et suivez votre �poux.
Libres dans nos malheurs, puisque le ciel l'ordonne,
Le don de notre foi ne d�pend de personne.
L'hymen n'est point toujours entour� de flambeaux.
Aux portes de Tr�z�ne, et parmi ces tombeaux,
Des princes de ma race antiques s�pultures,
Est un temple sacr� formidable aux parjures.
C'est l� que les mortels n'osent jurer en vain :
Le perfide y re�oit un ch�timent soudain ;
Et craignant d'y trouver la mort in�vitable,
Le mensonge n'a point de frein plus redoutable.
L�, si vous m'en croyez, d'un amour �ternel
Nous irons confirmer le serment solennel.
Nous prendrons � t�moin le Dieu qu'on y r�v�re ;
Nous le pr�rons tous deux de nous servir de p�re.
Des Dieux les plus sacr�s j'attesterai le nom.
Et la chaste Diane, et l'auguste Junon,
Et tous les dieux enfin, t�moins de mes tendresses,
Garantiront la foi de mes saintes promesses.
 
ARICIE
Le Roi vient. Fuyez, Prince, et partez promptement.
Pour cacher mon d�part je demeure un moment.
Allez, et laissez-moi quelque fid�le guide,
Qui conduise vers vous ma d�marche timide.
 
 
SCENE II - THESEE, ARICIE, ISMENE
 
 
THESEE
Dieux, �clairez mon trouble, et daignez � mes yeux
Montrer la v�rit�, que je cherche en ces lieux.
 
ARICIE
Songe � tout, ch�re Ism�ne, et sois pr�te � la fuite.
 
 
SCENE III - THESEE, ARICIE
 
 
THESEE
Vous changez de couleur, et semblez interdite.
Madame ! que faisait Hippolyte en ce lieu ?
 
ARICIE
Seigneur, il me disait un �ternel adieu.
 
THESEE
Vos yeux ont su dompter ce rebelle courage ;
Et ses premiers soupirs sont votre heureux ouvrage.
 
ARICIE
Seigneur, je ne vous puis nier la v�rit� ;
De votre injuste haine il n'a pas h�rit� ;
Il ne me traitait point comme une criminelle.
 
THESEE
J'entends, il vous jurait une amour �ternelle.
Ne vous assurez point sur ce coeur inconstant ;
Car � d'autres que vous il en jurait autant.
 
ARICIE
Lui, Seigneur ?
 
THESEE
Vous deviez le rendre moins volage ;
Comment souffriez-vous cet horrible partage ?
 
ARICIE
Et comment souffrez-vous que d'horribles discours
D'une si belle vie osent noircir le cours ?
Avez-vous de son coeur si peu de connaissance ?
Discernez-vous si mal le crime et l'innocence ?
Faut-il qu'� vos yeux seuls un nuage odieux
D�robe sa vertu qui brille � tous les yeux ?
Ah ! c'est trop le livrer � des langues perfides.
Cessez. Repentez-vous de vos voeux homicides ;
Craignez, Seigneur, craignez que le ciel rigoureux
Ne vous ha�sse assez pour exercer vos voeux.
Souvent dans sa col�re il re�oit nos victimes ;
Ses pr�sents sont souvent la peine de nos crimes.
 
THESEE
Non, vous voulez en vain couvrir son attentat.
Votre amour vous aveugle en faveur de l'ingrat.
Mais j'en crois des t�moins certains, irr�prochables :
J'ai vu, j'ai vu couler des larmes v�ritables.
 
ARICIE
Prenez garde, Seigneur. Vos invincibles mains
Ont de monstres sans nombre affranchi les humains ;
Mais tout n'est pas d�truit, et vous en laissez vivre
Un... Votre fils, Seigneur, me d�fend de poursuivre.
Instruite du respect qu'il veut vous conserver,
Je l'affligerais trop si j'osais achever.
J'imite sa pudeur, et fuis votre pr�sence
Pour n'�tre pas forc�e de rompre le silence.
 
 
SCENE IV - THESEE
 
 
THESEE
Quelle est donc sa pens�e ? et que cache un discours
Commenc� tant de fois, interrompu toujours ?
Veulent-ils m'�blouir par une feinte vaine ?
Sont-ils d'accord pour me metre � la g�ne; ?
Mais moi-m�me, malgr� ma s�v�re rigueur,
Quelle plaintive voix crie au fond de mon coeur ?
Une piti� secr�te et m'afflige et m'�tonne.
Une seconde fois interrogeons OEnone.
Je veux de tout le crime �tre mieux �clairci.
Gardes ! qu'OEnone sorte, et vienne seule ici.
 
 
SCENE V - THESEE, PANOPE
 
 
PANOPE
J'ignore le projet que la reine m�dite,
Seigneur. Mais je crains tout du transport qui l'agite.
Un mortel d�sespoir sur son visage est peint ;
La p�leur de la mort est d�j� sur son teint.
D�j�, de sa pr�sence avec honte chass�e,
Dans la profonde mer OEnone s'est lanc�e.
On ne sait point d'o� part ce dessein furieux ;
Et les flots pour jamais l'ont ravie � nos yeux.
 
THESEE
Qu'entends-je ?
 
PANOPE
Son tr�pas n'a point calm� la reine :
Le trouble semble cro�tre en son �me incertaine.
Quelquefois, pour flatter ses secr�tes douleurs,
Elle prend ses enfants et les baigne de pleurs ;
Et soudain, renon�ant � l'amour maternelle,
Sa main avec horreur les repousse loin d'elle.
Elle porte au hasard ses pas irr�solus ;
Son oeil tout �gar� ne nous reconna�t plus.
Elle a trois fois �crit, et changeant de pens�e,
Trois fois elle a rompu sa lettre commenc�e.
Daignez la voir, Seigneur, daignez la secourir.
 
THESEE
O ciel ! OEnone est morte, et Ph�dre veut mourir ?
Qu'on rappelle mon fils, qu'il vienne se d�fendre,
Qu'il vienne me parler, je suis pr�t de l'entendre.
Ne pr�cipite point tes funestes bienfaits,
Neptune ; j'aime mieux n'�tre exauc� jamais.
J'ai peut-�tre trop cru des t�moins peu fid�les ;
Et j'ai trop t�t vers toi lev� mes mains cruelles.
Ah ! de quel d�sespoir mes voeux seraient suivis !
 
 
SCENE VI - THESEE, THERAMENE
 
 
THESEE
Th�ram�ne, est-ce toi ? Qu'as-tu fait de mon fils ?
Je te l'ai confi� d�s l'�ge le plus tendre.
Mais d'o� naissent les pleurs que je te vois r�pandre ?
Que fait mon fils ?
 
THERAMENE
O soins tardifs et superflus !
Inutile tendresse ! Hippolyte n'est plus.
 
THESEE
Dieux !
 
THERAMENE
J'ai vu des mortels p�rir le plus aimable,
Et j'ose dire encor, Seigneur, le moins coupable.
 
THESEE
Mon fils n'est plus ? H� quoi ! quand je lui tends les bras,
Les Dieux impatients ont h�t� son tr�pas ?
Quel coup me l'a ravi ? Quelle foudre soudaine ?
 
THERAMENE
A peine nous sortions des portes de Tr�z�ne,
Il �tait sur son char. Ses gardes afflig�s
Imitaient son silence, autour de lui rang�s ;
Il suivait tout pensif le chemin de Myc�nes ;
Sa main sur ses chevaux laissait flotter les r�nes.
Ses superbes coursiers, qu'on voyait autrefois
Pleins d'une ardeur si noble ob�ir � sa voix,
L'oeil morne maintenant et la t�te baiss�e,
Semblaient se conformer � sa triste pens�e.
Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs en ce moment a troubl� le repos ;
Et du sein de la terre une voix formidable
R�pond en g�missant � ce cri redoutable.
Jusqu'au fond de nos coeurs notre sang s'est glac� ;
Des coursiers attentifs le crin s'est h�riss�.
Cependant sur le dos de la plaine liquide
S'�l�ve � gros bouillons une montagne humide ;
L'onde approche, se brise, et vomit � nos yeux,
Parmi des flots d'�cume, un monstre furieux.
Son front large est arm� de cornes mena�antes,
Tout son corps est couvert d'�cailles jaunissantes,
Indomptable taureau, dragon imp�tueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux.
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s'en �meut, l'air en est infect�,
Le flot qui l'apporta recule �pouvant�.
Tout fuit, et sans s'armer d'un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
Hippolyte lui seul, digne fils d'un h�ros,
Arr�te ses coursiers, saisit ses javelots,
Pousse au monstre, et d'un dard lanc� d'une main s�re,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.
De rage et de douleur le monstre bondissant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
Se roule, et leur pr�sente une gueule enflamm�e,
Qui les couvre de feu, de sang et de fum�e.
La fureur les emporte, et sourds � cette fois,
Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix.
En efforts impuissants leur ma�tre se consume,
Ils rougissent le mors d'une sanglante �cume.
On dit qu'on a vu m�me, en ce d�sordre affreux,
Un dieu qui d'aiguillons pressait leur flanc poudreux.
A travers des rochers la peur les pr�cipite.
L'essieu crie et se rompt. L'intr�pide Hippolyte
Voit voler en �clats tout son char fracass�.
Dans les r�nes lui-m�me il tombe embarrass�.
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source �ternelle.
J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils
Tra�n� par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ;
Ils courent. Tout son corps n'est bient�t qu'une plaie.
De nos cris douloureux la plaine retentit.
Leur fougue imp�tueuse enfin se ralentit.
Ils s'arr�tent non loin de ces tombeaux antiques
O� des Rois nos a�eux sont les froides reliques.
J'y cours en soupirant, et sa garde me suit.
De son g�n�reux sang la trace nous conduit.
Les rochers en sont teints ; les ronces d�gouttantes
Portent de ses cheveux les d�pouilles sanglantes.
J'arrive, je l'appelle, et me tendant la main,
Il ouvre un oeil mourant qu'il referme soudain.
Le ciel, dit-il, m'arrache une innocente vie.
Prends soin apr�s ma mort de ma ch�re Aricie.
Cher ami, si mon p�re un jour d�sabus�
Plaint le malheur d'un fils faussement accus�,
Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,
Dis-lui qu'avec douceur il traite sa captive,
Qu'il lui rende... A ce mot ce h�ros expir�
N'a laiss� dans mes bras qu'un corps d�figur�,
Triste objet, o� des Dieux triomphe la col�re,
Et que m�conna�trait l'oeil m�me de son p�re.
 
THESEE
O mon fils ! cher espoir que je me suis ravi !
Inexorables Dieux, qui m'avez trop servi !
A quels mortels regrets ma vie est r�serv�e !
 
THERAMENE
La timide Aricie est alors arriv�e.
Elle venait, Seigneur, fuyant votre courroux,
A la face des Dieux l'accepter pour �poux.
Elle approche. Elle voit l'herbe rouge et fumante.
Elle voit (quel objet pour les yeux d'une amante !)
Hippolyte �tendu, sans forme et sans couleur.
Elle veut quelque temps douter de son malheur,
Et ne connaissant plus ce h�ros qu'elle adore,
Elle voit Hippolyte et le demande encore.
Mais trop s�re � la fin qu'il est devant ses yeux,
Par un triste regard elle accuse les Dieux,
Et froide, g�missante, et presque inanim�e,
Aux pieds de son amant elle tombe p�m�e.
Ism�ne est aupr�s d'elle; Ism�ne, tout en pleurs,
La rappelle � la vie, ou plut�t aux douleurs.
Et moi, je suis venu, d�testant la lumi�re,
Vous dire d'un h�ros la volont� derni�re,
Et m'acquitter, Seigneur, du malheureux emploi
Dont son coeur expirant s'est repos� sur moi.
Mais j'aper�ois venir sa mortelle ennemie.
 
 
SCENE DERNIERE - THESEE, PHEDRE, THERAMENE, PANOPE, GARDES
 
 
THESEE
H� bien ! vous triomphez, et mon fils est sans vie.
Ah ! que j'ai lieu de craindre ! et qu'un cruel soup�on,
L'excusant dans mon coeur, m'alarme avec raison !
Mais, Madame, il est mort, prenez votre victime :
Jouissez de sa perte, injuste ou l�gitime.
Je consens que mes yeux soient toujours abus�s.
Je le crois criminel puisque vous l'accusez.
Son tr�pas � mes pleurs offre assez de mati�res,
Sans que j'aille chercher d'odieuses lumi�res,
Qui ne pouvant le rendre � ma juste douleur,
Peut-�tre ne feraient qu'accro�tre mon malheur.
Laissez-moi, loin de vous et loin de ce rivage,
De mon fils d�chir� fuir la sanglante image.
Confus, pers�cut� d'un mortel souvenir,
De l'univers entier je voudrais me bannir.
Tout semble s'�lever contre mon injustice.
L'�clat de mon nom m�me augmente mon supplice.
Moins connu des mortels, je me cacherais mieux.
Je hais jusques au soin dont m'honorent les Dieux ;
Et je m'en vais pleurer leurs faveurs meurtri�res,
Sans plus les fatiguer d'inutiles pri�res.
Quoi qu'ils fissent pour moi, leur funeste bont�
Ne me saurait payer de ce qu'ils m'ont �t�.
 
PHEDRE
Non, Th�s�e, il faut rompre un injuste silence ;
Il faut � votre fils rendre son innocence.
Il n'�tait point coupable.
 
THESEE
Ah ! p�re infortun� !
Et c'est sur votre foi que je l'ai condamn� !
Cruelle, pensez-vous �tre assez excus�e...
 
PHEDRE
Les moments me sont chers, �coutez-moi, Th�s�e.
C'est moi qui sur ce fils chaste et respectueux
Osai jeter un oeil profane, incestueux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste ;
La d�testable OEnone a conduit tout le reste.
Elle a craint qu'Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne d�couvr�t un feu qui lui faisait horreur.
La perfide, abusant de ma faiblesse extr�me,
S'est h�t�e � vos yeux de l'accuser lui-m�me.
Elle s'en est punie, et fuyant mon courroux,
A cherch� dans les flots un supplice trop doux.
Le fer aurait d�j� tranch� ma destin�e ;
Mais je laissais g�mir la vertu soup�onn�e.
J'ai voulu, devant vous exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J'ai pris, j'ai fait couler dans mes br�lantes veines
Un poison que M�d�e apporta dans Ath�nes.
D�j� jusqu'� mon coeur le venin parvenu
Dans ce coeur expirant jette un froid inconnu ;
D�j� je ne vois plus qu'� travers un nuage
Et le ciel, et l'�poux que ma pr�sence outrage ;
Et la mort, � mes yeux d�robant la clart�,
Rend au jour, qu'ils souillaient, toute sa puret�.
 
PANOPE
Elle expire, Seigneur.
 
THESEE
D'une action si noire
Que ne peut avec elle expirer la m�moire !
Allons, de mon erreur, h�las, trop �claircis,
M�ler nos pleurs au sang de mon malheureux fils.
Allons de ce cher fils embrasser ce qui reste,
Expier la fureur d'un voeu que je d�teste.
Rendons-lui les honneurs qu'il a trop m�rit�s ;
Et pour mieux apaiser ses m�nes irrit�s,
Que malgr� les complots d'une injuste famille,
Son amante aujourd'hui me tienne lieu de fille.