Conseil d'Etat, 30 juin
2004, n° 250124, Département de la Vendée S'il appartient aux collectivités et personnes morales publiques,
auxquelles sont affectées ou concédées les installations des ports maritimes,
de permettre l'accès aussi large que possible des armements à ces
installations, elles n'en sont pas moins corollairement en charge de fixer,
par une réglementation adaptée à la configuration des ports concernés, des
conditions d'utilisation de ces installations propres à assurer la sécurité
des usagers et la protection des biens du domaine public maritime. En outre,
si ces mêmes collectivités et personnes morales publiques ne sont autorisées
par aucune disposition législative à consentir aux entreprises chargées d'un
service public de transport maritime le monopole de l'utilisation des
ouvrages portuaires et, dès lors, en l'absence de circonstances
exceptionnelles à réserver à ces entreprises l'exclusivité de l'accès aux
installations portuaires, il leur appartient, dans des limites compatibles
avec le respect des règles de concurrence et du principe de la liberté du
commerce et de l'industrie, d'apporter aux armements chargés d'un tel service
public l'appui nécessaire à l'exploitation du service et, le cas échéant, de
leur accorder des facilités particulières pour l'utilisation du domaine
public. CONSEIL D'ETAT
Statuant au
contentieux N° 250124
DEPARTEMENT DE
LA VENDEE M. El
Nouchi M. Collin
Séance du 9
juin 2004 REPUBLIQUE
FRANÇAISE AU NOM DU
PEUPLE FRANÇAIS Le Conseil
d'Etat statuant au contentieux (Section du
contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies) Sur le rapport
de la 8ème sous-section de la Section du contentieux Vu la requête
sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 septembre 2002 et 23
décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour
le DEPARTEMENT DE LA VENDEE, représenté par le président du Conseil général
domicilié à l'Hôtel du département 40, rue du Maréchal Foch B.P. 823 à La
Roche-sur-Yon (85021) ; le DEPARTEMENT DE LA VENDEE demande au Conseil
d'Etat : 1°) d'annuler
l'arrêt du 28 juin 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes,
réformant le jugement du 6 janvier 2000 du tribunal administratif de Nantes,
a annulé à la demande de la société "Vedettes Inter-Iles
Vendéennes" (V.I.I.V), le premier alinéa de l'article 4, l'article 5 et
l'article 8 de l'arrêté du 30 mars 1998 du président du conseil général de la
Vendée formant règlement d'utilisation des installations portuaires de
Fromentine et a condamné le département requérant à verser à cette société
une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative ; 2°) réglant
l'affaire au fond, de rejeter la requête d'appel de la société "Vedettes
Inter-Iles Vendéennes" et de faire droit à sa demande tendant à ce que
cette société soit condamnée à lui payer la somme de 762, 25 euros au titre
de l'article L.761-1 du code de justice administrative ; 3°) en tout
état de cause, de condamner la société "Vedettes Inter-Iles
Vendéennes" à lui verser la somme de 3 300 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ; Vu les autres
pièces du dossier ; Vu la note en
délibéré présentée le 11 juin 2004 pour la société Vedettes Inter-Iles
Vendéennes ; Vu le code de
justice administrative ; Après avoir
entendu en séance publique : Considérant
qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la desserte
maritime de l'Ile d'Yeu est assurée notamment à partir du port départemental
de Fromentine, situé dans la commune de la Barre de Monts (Vendée) ; que
ce port est constitué d'une estacade en bois de 76 m débouchant sur une
plate-forme d'accostage, posée et ancrée au fond par des pieux ; que
cette plate-forme comprend deux postes d'amarrage dont l'un, situé sur le
côté ouest, permet l'amarrage des paquebots alors que l'autre, situé au nord,
constitué d'un ponton flottant ancré sur le débarcadère, est destiné à
l'accostage des navires de plus petit gabarit ; que ce ponton flottant
est utilisé, à la fois, par l'unité rapide de la régie départementale des
passages d'eau de la Vendée (R.D.P.E.V) et par les vedettes de compagnies
privées dont la société "Vedettes Inter-Iles Vendéennes"
(V.I.I.V) ; que par arrêté du 30 mars 1998, le président du conseil
général de la Vendée a réglementé l'utilisation des installations du port de
Fromentine ; que l'article 4 de cet arrêté dispose que "l'accostage
au ponton flottant des bateaux des compagnies privées pour l'embarquement et
le débarquement de passagers est interdit : / - une demi-heure avant
l'arrivée prévue et un quart d'heure après le départ effectif de l'unité
rapide de la régie/ - pendant l'escale de ladite unité/ - une demi-heure
avant l'arrivée prévue et un quart d'heure après le départ effectif d'un
paquebot de la régie/ - pendant une heure après l'arrivée et pendant une
heure avant le départ d'un paquebot de la régie (.)" ; qu'aux
termes des dispositions de l'article 8 du même arrêté : "Le
stationnement au ponton des bateaux des compagnies privées est strictement
limité au temps nécessaire à l'embarquement ou au débarquement des
passagers" ; que l'article 5, non divisible des articles 4 et 8, prévoit
que "dans les créneaux horaires non réservés au service public exercé
par la régie départementale, l'accostage au ponton flottant des bateaux des
compagnies privées pour l'embarquement et le débarquement des passagers est
interdit une demi-heure avant l'arrivée prévue de l'unité suivante et un
quart d'heure après le départ effectif de l'unité suivante" ; que,
par jugement du 6 janvier 2000, le tribunal administratif de Nantes a rejeté
la demande de la société "Vedettes Inter-Iles Vendéennes" tendant à
l'annulation de cet arrêté ; que le DEPARTEMENT DE LA VENDEE se pourvoit
en cassation contre l'arrêt du 28 juin 2002 par lequel la cour administrative
d'appel de Nantes, statuant sur l'appel de la société "Vedettes
Inter-Iles Vendéennes", a, infirmant sur ce point le jugement du
tribunal administratif de Nantes, annulé les dispositions précitées des
articles 4 (alinéas 1 à 5), 5 et 8 de l'arrêté du 30 mars 1998 ; Sans qu'il
soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ; Considérant
que s'il appartient aux collectivités et personnes morales publiques,
auxquelles sont affectées ou concédées les installations des ports maritimes,
de permettre l'accès aussi large que possible des armements à ces
installations, elles n'en sont pas moins corollairement en charge de fixer,
par une réglementation adaptée à la configuration des ports concernés, des
conditions d'utilisation de ces installations propres à assurer la sécurité
des usagers et la protection des biens du domaine public maritime ;
qu'en outre, si ces mêmes collectivités et personnes morales publiques ne
sont autorisées par aucune disposition législative à consentir aux
entreprises chargées d'un service public de transport maritime le monopole de
l'utilisation des ouvrages portuaires et, dès lors, en l'absence de circonstances
exceptionnelles à réserver à ces entreprises l'exclusivité de l'accès aux
installations portuaires, il leur appartient, dans des limites compatibles
avec le respect des règles de concurrence et du principe de la liberté du
commerce et de l'industrie, d'apporter aux armements chargés d'un tel service
public l'appui nécessaire à l'exploitation du service et, le cas échéant, de
leur accorder des facilités particulières pour l'utilisation du domaine
public ; Considérant
qu'en jugeant, après avoir rappelé les principes énoncés ci-dessus, que les
exigences découlant de la mission de service public de la régie
départementale des passages d'eau de la Vendée (R.D.P.E.V) ne pouvaient être
regardées, au même titre que les contraintes techniques ou de sécurité, comme
des nécessités de fonctionnement du port que pouvait prendre en compte, dans
les limites énoncées plus haut, l'autorité réglementaire, la cour a commis
une erreur de droit ; que l'arrêt attaqué doit, dès lors, être annulé
dans ses articles 1 et 2 ; Considérant
que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des
dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de
régler l'affaire au fond ; Sur la
régularité du jugement attaqué : Considérant,
que le moyen tiré par la société "Vedettes Inter-Iles Vendéennes"
de ce que le jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes n'aurait
pas répondu au moyen tiré par elle de l'illégalité de l'article 8 du
règlement litigieux manque en fait ; Sur la
légalité des trois premiers alinéas de l'article 4 et de l'article 8 du
règlement attaqué : Considérant,
que les dispositions combinées des alinéas 1 à 3 de l'article 4 de l'arrêté
du 30 mars 1998 interdisent l'accostage au ponton flottant des bateaux des
compagnies privées d'une part, une demi-heure avant l'arrivée de l'unité
rapide de la régie départementale et un quart d'heure après son départ
effectif, d'autre part, pendant l'escale de cette unité rapide ; que
l'article 8 du même règlement limite strictement le temps de stationnement de
ces mêmes bateaux au temps nécessaire à l'embarquement ou au débarquement des
passagers ; que la société "Vedettes Inter-Iles Vendéennes"
soutient que la combinaison de ces dispositions aboutit en pratique à ce que,
pendant le stationnement de l'unité rapide de la régie qui peut se prolonger
pendant six heures à marée basse, ses bateaux sont empêchés d'accoster au
ponton flottant et donc d'assurer, par suite, la desserte de l'île d'Yeu, en
méconnaissance tant du principe de la liberté du commerce et d'industrie que
du principe d'égalité de traitement entre armateurs ; Considérant
toutefois qu'il ressort des pièces du dossier que la régie départementale
assure en ce qui concerne la desserte de l'île d'Yeu une mission de service
public qui implique des traversées régulières toute l'année et par tous
temps ; que l'accomplissement de cette mission explique que l'unité
rapide de la régie départementale ait un tirant d'eau sensiblement plus
important que celui des unités de la société "Vedettes Inter-Iles
Vendéennes" (V.I.I.V.), ce qui la rend tributaire des horaires des
marées et lui interdit notamment de sortir du port de Fromentine ou d'y
accéder à marée basse ; que la société "Vedettes Inter-Iles
Vendéennes" n'est pas, compte tenu de son activité exclusivement
estivale et de la taille, de la capacité et du tirant d'eau de ses bateaux,
dans une situation identique à celle de l'armement chargé du service
public ; que la longueur limitée du ponton flottant rend techniquement
difficile et, en tout état de cause, dangereux pour la sécurité des
opérations d'embarquement et de débarquement des passagers compte tenu de la
taille des bateaux concernés, l'accostage simultané de deux unités
rapides ; que dès lors, eu égard aux circonstances rappelées ci-dessus,
le président du conseil général a pu, sans porter d'atteinte excessive au
principe de la liberté du commerce et de l'industrie, ni méconnaître les
règles de concurrence ainsi que l'égalité de traitement entre armateurs,
apporter à la régie départementale l'appui nécessaire à l'exploitation du
service public dont elle est chargée en faisant bénéficier la seule unité
rapide de la régie de la possibilité d'un stationnement prolongé sur le
ponton flottant au cours des périodes de marée basse pendant lesquelles cette
unité ne peut, compte tenu de son tirant d'eau, passer dans le chenal d'accès
et en interdisant, pendant ce stationnement prolongé, toute possibilité
d'accostage d'une unité rapide appartenant à la compagnie V.I.I.V, qui
dispose d'ailleurs, à 500 mètres du port de Fromentine, d'un site propre de
mouillage à partir duquel elle peut assurer ses liaisons maritimes vers l'Ile
d'Yeu ; Considérant
que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ; Considérant
qu'il résulte de ce qui précède que la société "Vedettes Inter-Iles
Vendéennes" n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le
jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande
tendant à l'annulation des trois premiers alinéas de l'article 4 ainsi que de
l'article 8 du règlement attaqué ; Sur la
légalité des quatrième et cinquième alinéas de l'article 4 du règlement
attaqué : Considérant
que les dispositions combinées des premier, quatrième et cinquième alinéas de
l'article 4 du même règlement ont pour effet de limiter aux seuls bateaux des
compagnies privées l'interdiction d'accostage au ponton flottant, d'une part,
pendant l'escale d'un paquebot de la régie, d'autre part, une demi-heure
avant l'arrivée prévue et un quart d'heure après le départ effectif d'un tel
paquebot ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle
restriction, constitutive d'une rupture d'égalité entre les vedettes de la
régie et celles des compagnies privées, soit rendue nécessaire par des
contraintes de sécurité publique liées soit aux conditions de navigation dans
le chenal d'accès au port de Fromentine, soit aux modalités d'embarquement et
de débarquement des passagers des unités rapides lors des manuvres ou de
l'escale d'un paquebot de la régie ; qu'il ne ressort pas davantage des
pièces du dossier que la mission de service public dont est investie la régie
départementale justifierait que ses unités rapides soient exonérées du
respect de règles édictées dans l'intérêt de la sécurité des mouvements de
navires et de passagers ; que, dès lors, la société "Vedettes
Inter-Iles Vendéennes" est fondée à soutenir que c'est à tort que, par
le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses
conclusions tendant à l'annulation des quatrième et cinquième alinéas de
l'article 4 de l'arrêté litigieux, en tant que leurs dispositions ne
s'appliquent qu'aux bateaux des compagnies privées ; Sur les
conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice
administrative : Considérant
qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux
conclusions présentées par le DEPARTEMENT DE LA VENDEE et la société
"Vedettes Inter-Iles Vendéennes" sur le fondement de ces
dispositions ; D E C I D
E : Article
1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt du 28 juin 2002 de la cour
administrative d'appel de Nantes sont annulés. Article
2 : Le jugement du 6 janvier 2000 du tribunal administratif de Nantes
est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la société "Vedettes
Inter-Iles Vendéennes" tendant à l'annulation des quatrième et cinquième
alinéas de l'article 4 de l'arrêté du 30 mars 1998 du président du Conseil
général de la Vendée. Article
3 : Les quatrième et cinquième alinéas de l'article 4 de l'arrêté du 30
mars 1998 du président du Conseil général de la Vendée sont annulés, en tant
qu'ils ne s'appliquent qu'aux bateaux des compagnies privées pour
l'embarquement et le débarquement des passagers ; Article
4 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par la société
"Vedettes Inter-Iles Vendéennes" devant le tribunal administratif
de Nantes est rejeté. Article
5 : Les conclusions présentées par le DEPARTEMENT DE LA VENDEE et la
société "Vedettes Inter-Iles Vendéennes" au titre de l'article L.
761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article
6 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE LA VENDEE, à la
société "Vedettes Inter-Iles Vendéennes" et au ministre de
l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et
de la mer. |