Conseil d'Etat
statuant
au contentieux
N° 123672

Publié au Recueil Lebon

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M. Chabanol, Rapporteur
M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement

M. Rougevin-Baville, Président
Mes Vuitton, Guinard, Avocat


Lecture du 12 octobre 1994

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 28 février 1991, présentée pour M. Roger Visconti, demeurant 2, avenue Jean Moulin à Saint-Cannat (13760) ; M. Visconti demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement en date du 20 décembre 1990 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 28 avril 1988 du maire de Marseille fixant de nouvelles conditions à l'occupation par lui d'un emplacement au port de l'île du Frioul et à la réduction des redevances mises à sa charge à ce titre ;

2°) d'annuler la décision susmentionnée et de prononcer les réductions des redevances qui lui sont réclamées depuis le 28 avril 1988 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des ports maritimes ;

Vu la loi du 10 juillet 1991, notamment son article 75-1 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Chabanol, Conseiller d'Etat,

- les observations de Me Vuitton, avocat de M. Visconti et de Me Guinard, avocat de la ville de Marseille,

- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un arrêté du maire de Marseille en date du 30 mars 1988, M. Visconti a été autorisé, moyennant le paiement d'une redevance annuelle relevant de la catégorie de taxation 1 applicable aux stationnements permanents des bateaux, à occuper un poste à flot du port de l'île de Frioul qu'il utilisait depuis 1980 ; que, par une nouvelle décision en date du 28 avril 1988, le maire a, d'une part, "résilié" cette autorisation et, d'autre part, a maintenu à M. Visconti le droit qu'il avait de laisser stationner son bateau au même poste à flot mais seulement en qualité d'occupant intermittent soumis au tarif mensuel des occupants de passage ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par la ville de Marseille :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte du dossier que M. Visconti, qui a présenté sa demande devant le tribunal administratif sans le ministère d'un avocat, n'a pas été invité par le tribunal à recourir à un tel ministère ; que, par suite, et en tout état de cause, la fin de non-recevoir tirée du défaut de ministère d'avocat en première instance ne peut être utilement opposée en appel ;

Considérant, en second lieu, que la requête de M. Visconti a, en cours d'instance, été régularisée par l'intervention d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ; que la fin de non-recevoir opposée à sa requête d'appel doit donc être écartée ;

Sur la légalité de la décision en date du 28 avril 1988 :

Considérant, d'une part, que si l'autorité gestionnaire du domaine public peut à tout moment modifier les conditions pécuniaires auxquelles elle subordonne la délivrance des autorisations d'occupation et éventuellement abroger unilatéralement ces décisions, elle ne peut, toutefois, légalement excercer ces prérogatives qu'en raison de faits survenus ou portés à sa connaissance postérieurement à la délivrance de ces autorisations ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que la décision attaquée est motivée par la circonstance que M. Visconti ne se serait pas acquitté des redevances d'occupation mises à sa charge au titre d'années antérieures à 1988 ; que l'erreur que la ville aurait, selon elle, commise en ne tenant pas compte, lors de la délivrance de l'autorisation du 30 mars 1988, du comportement de M. Visconti antérieurement à cette date n'était pas de nature à fonder en droit la décision du 28 avril 1988 ;

Considérant, d'autre part, qu'à supposer même que, comme le soutient la ville en défense, l'absence de mention, dans la décision du 30 mars 1988, de la durée d'un an à laquelle l'article R.631-4 du code des ports maritimes limite une telle autorisation, ait été de nature à entacher celle-ci d'illégalité, la ville ne peut utilement se prévaloir d'un tel motif pourjustifier la décision attaquée, dès lors que cette dernière avait pour seul objet, en maintenant l'autorisation d'occupation, d'en modifier les conditions tarifaires ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Visconti est fondé à soutenir que la décision qu'il attaque est entachée d'excès de pouvoir et à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions tendant à la réduction des redevances réclamées depuis le 28 avril 1988 :

Considérant, en premier lieu, que M. Visconti n'est recevable à contester en appel le montant desdites redevances que dans la limite des conclusions présentées à cette fin au tribunal, soit des seules redevances qui lui avaient été réclamées à la date du 22 novembre 1990 ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les redevances dont le paiement a été réclamé à M. Visconti en application de la décision du 28 avril 1988 étaient dépourvues de base légale ; que, toutefois, l'intéressé reste redevable de la redevance annuelle exigible en application de l'autorisation d'occupation temporaire qui lui avait été accordée le 30 mars 1988, laquelle est réputée n'avoir pas cessé d'être applicable et doit être regardée comme ayant été reconduite ; que le requérant est par suite fondé, dans les limites ainsi définies, à demander la réduction du montant des redevances qui lui ont été réclamées pour le stationnement de son bateau, à concurrence de la différence entre ledit montant et celui résultant de l'application du tarif retenu par l'autorisation délivrée le 30 mars 1988 ;

Sur les conclusions tendant à l'application du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que M. Visconti, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à la ville de Marseille la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :



Article 1er : Le jugement, en date du 20 décembre 1990, du tribunal administratif de Marseille est annulé en ce qu'il a rejeté les conclusions de M. Visconti tendant, d'une part, à l'annulation de la décision en date du 28 avril 1988 du maire de Marseille modifiant les conditions de son autorisation d'occupation du domaine public portuaire et, d'autre part, à la réduction des redevances mises à sa charge au titre de cette occupation du 28 avril 1988 au 22 novembre 1990.
Article 2 : La décision du maire de Marseille mentionnée à l'article précédent est annulée.
Article 3 : Le montant des redevances d'occupation du domaine public portuaire mises à la charge de M. Visconti est réduit dans les conditions fixées par les motifs de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. Visconti, ainsi que les conclusions de la ville de Marseille tendant à l'application du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Roger Visconti, à la ville de Marseille et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.



Titrage : 01-05-03-01 ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS - MOTIFS - ERREUR DE DROIT - EXISTENCE -Domaine - Abrogation ou modification unilatérale d'une autorisation d'occupation du domaine public fondée sur des motifs connus de l'autorité compétente lors de la délivrance de l'autorisation initiale.

01-09-02-02 ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DISPARITION DE L'ACTE - ABROGATION. - ABROGATION DES ACTES NON REGLEMENTAIRES -Conditions générales - Légalité de l'abrogation - Absence - Abrogation ou modification unilatérale fondée sur des motifs connus de l'autorité compétente lors de la délivrance de l'autorisation initiale.

24-01-02-01-01-04 DOMAINE - DOMAINE PUBLIC - REGIME - OCCUPATION - UTILISATIONS PRIVATIVES DU DOMAINE - REDEVANCES -Modification individuelle du tarif - Motif erroné en droit - Circonstance connue du maire lors de l'attribution initiale du tarif le plus favorable.

Résumé : 01-05-03-01, 01-09-02-02, 24-01-02-01-01-04 Si l'autorité gestionnaire du domaine public peut à tout moment modifier les conditions pécuniaires auxquelles elle subordonne la délivrance des autorisations d'occupation et éventuellement abroger unilatéralement ces décisions, elle ne peut, toutefois, légalement exercer ces prérogatives qu'en raison de faits survenus ou portés à sa connaissance postérieurement à la délivrance de ces autorisations. Un maire qui avait d'abord soumis le propriétaire d'un navire, occupant un poste à flot, à la redevance applicable au stationnement permanent de bateaux, ne peut abroger cette décision en cours d'année et maintenir le droit de stationner au même poste mais au tarif mensuel des occupants de passage, au seul motif que l'intéressé ne se serait pas acquitté au cours des années antérieures des redevances d'occupation qui avaient été mises à sa charge.

Textes cités :
Code des ports maritimes R631-4.
Loi 91-647 1991-07-10 art. 75.
Recours pour excès de pouvoir