Le principe de neutralité des agents du service public
 

Sources juridiques :
Cour Administrative d'Appel de Lyon, 27 novembre 2003,
Mlle Nadjet Ben Abdallah
Conseil d'Etat, avis du 3 mai 2000, Dlle Marteaux

voir le Rapport public 2004, un siècle de laïcité du Conseil d'État (la documentation Française, Etudes et documents n°55).

Cour Administrative d'Appel de Lyon, 27 novembre 2003, Mlle Nadjet Ben Abdallah
Extrait du Rapport public du Conseil d'Etat concernant cet arrêt : Le tribunal administratif de Lyon, par une décision du 8 juillet 2003 87, a jugé que le port du voile pour une fonctionnaire contrôleur du travail dans l'exercice de ses fonctions, était contraire au principe de laïcité de l'État. La cour administrative d'appel de Lyon, saisie de cette même affaire, a également estimé, en se fondant sur le principe de laïcité de la République, que le fait pour un agent public de manifester dans l'exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constituait un manquement à ses obligations professionnelles et donc une faute.

Note : cet arrêt fait l'objet d'un recours en cassation devant le Conseil d'Etat.

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COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON
statuant au contentieux
N° 03LY01392
Inédit au Recueil Lebon
Formation plénière
M. EVRARD, Rapporteur
M. KOLBERT, Commissaire du gouvernement
M. CHABANOL, Président
Me DEVERS

Lecture du 27 novembre 2003

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

 

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Lyon le 4 août 2003, présentée pour Melle Nadjet., demeurant ..., par Me Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon ;

Melle X. demande à la Cour :

1') d'annuler le jugement n° 0201383-0203480 en date du 8 juillet 2003 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes tendant d'une part à l'annulation de la décision du 25 janvier 2002 par laquelle le MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE et le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT l'ont suspendue provisoirement de ses fonctions de contrôleur du travail, et tendant d'autre part à l'annulation de la décision du 30 mai 2002 par laquelle le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITE et le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER ont prononcé à son encontre la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de quinze jours avec sursis ;

2') d'annuler pour excès de pouvoir la décision de suspension du 25 janvier 2002 ;

3°) à titre principal de constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision d'exclusion temporaire du 30 mai 2002, et à titre subsidiaire de l'annuler pour excès de pouvoir ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 novembre 2003 :

- le rapport de M. EVRARD, président-assesseur ;

- les observations de Me DEVERS pour Melle X ;

- et les conclusions de M. KOLBERT, commissaire du gouvernement ;

Considérant que Melle X, contrôleur du travail affectée à la subdivision d'inspection du travail des transports de Lyon s'est présentée à son service, le 11 octobre 2001, la tête couverte d'un foulard lui recouvrant entièrement la chevelure ; qu'invitée de façon répétée par son chef de service à retirer cet accessoire vestimentaire, l'intéressée a fait valoir que le port de cette coiffe constituait pour elle une obligation religieuse et a refusé d'obéir aux instructions de ses supérieurs hiérarchiques ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la mesure de suspension prononcée le 25 janvier 2002 :

Considérant qu'aux termes de l'article 30 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 : En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. ;

Considérant que le principe de liberté de conscience découlant de l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et du préambule de la Constitution de 1946 repris par la Constitution du 4 octobre 1958, bénéficie à tous les agents publics ; que toutefois, le principe de laïcité de la République, affirmé par l'article 1er de la Constitution, qui a pour corollaire nécessaire le principe de neutralité des services publics, fait obstacle à ce que les agents publics disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ; que cette exigence de nature constitutionnelle commandée par la nécessité de protéger les droits des usagers des services publics, n'est en tout état de cause pas contraire aux stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que le fait, pour un agent public, quelles que soient ses fonctions, de manifester dans l'exercice de ces dernières ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations professionnelles et donc une faute ; que pour apprécier l'importance de cette faute, et notamment dire si elle constitue une faute grave au sens des dispositions précitées de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et, entre autres, de la nature et du degré de caractère ostentatoire de ce signe, de la nature des fonctions confiées à l'agent, ainsi que de l'exercice par lui soit de prérogatives de puissance publique soit de fonctions de représentation ;

Considérant que le port, par Melle X, détentrice de prérogatives de puissance publique, d'un foulard dont elle a expressément revendiqué le caractère religieux, et le refus réitéré d'obéir à l'ordre qui lui a été donné de le retirer, alors qu'elle était avertie de l'état non ambigu du droit applicable, a, dans les circonstances de l'espèce, constitué une faute grave de nature à justifier légalement la mesure de suspension dont elle a fait l'objet ; qu'elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette mesure ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la sanction d'exclusion temporaire de fonctions prononcée le 30 mai 2002 :

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 6 août 2002 : Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles... Sauf mesure individuelle accordée par le Président de la République, sont exceptés du bénéfice de l'amnistie prévue par le présent article les faits constituant des manquements à l'honneur ... ; que les faits qui ont motivé la sanction contestée d'exclusion temporaire des fonctions, tels qu'ils ressortent de l'instruction, et qui ont consisté à porter un signe ostensible d'appartenance à une religion et à refuser, de façon réitérée, d'obéir aux ordres d'avoir à l'enlever, sont contraires à l'honneur professionnel et n'entrent dès lors pas dans le champ d'application de la loi du 6 août 2002 ; que la requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le litige a perdu son objet ; qu'il y a lieu en conséquence pour la Cour de statuer sur les conclusions subsidiaires de la requête concernant la sanction dont s'agit ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 11 juillet 1979 : Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui infligent une sanction ; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : la motivation doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ;

Considérant que pour prononcer, par la décision attaquée, la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de quinze jours assortie du sursis, l'autorité disciplinaire, après avoir visé les textes applicables, et exposé les principes énoncés par un avis du Conseil d'Etat, s'est bornée à indiquer que Melle X en persistant dans son attitude, malgré les demandes répétées de l'administration, a mis gravement en cause le principe de laïcité de l'Etat et de neutralité de ses services ; que cette décision ne précisait pas les éléments de fait qui, dans l'attitude ou le comportement de Melle X, compromettaient la laïcité de l'Etat ou la neutralité de ses services ; que si les courriers adressées à l'agent avant l'ouverture de la procédure disciplinaire étaient consacrés au port par elle d'un foulard, d'autres éléments de son comportement avaient alors été mis en cause ; que le libellé susrappelé de la décision prise à l'issue de la procédure, et notamment après les débats devant le conseil de discipline, ne permettait pas à l'agent de déterminer quels avaient été, au terme de ces débats, les motifs de fait finalement retenus au soutien de la sanction prononcée ; que dans ces conditions, Melle X est fondée à soutenir que la décision attaquée méconnaît les dispositions précitées de la loi du 11 juillet 1979 et à demander pour ce motif l'annulation, ensemble de cette décision et du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à son annulation ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 8 juillet 2003 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de Melle Nadjet X tendant à l'annulation de la décision du 30 mai 2002.

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Article 2 : La décision du 30 mai 2002 par laquelle le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer ont infligé à Melle Nadjet X la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'un durée de quinze jours avec sursis est annulée.

Article 3 : Le surplus de la requête de Melle Nadjet X est rejeté.

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