Cour de Cassation, Chambre commerciale
3 avril 2002, Rejet, N° de pourvoi : 00-11344
Navire Stella Prima


LA COUR,


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 7 décembre 1999), que la société Jumbo navigation (société Jumbo) procédait, dans le port de Sète, au déchargement d'une grue de son navire Stellaprima, lorsque cet engin a chuté sur les installations portuaires et le navire ; que la société Jumbo a obtenu du président du tribunal de commerce de Sète, statuant par ordonnance rendue sur requête, l'autorisation de constituer un fonds de limitation de responsabilité ; que la Chambre de commerce et d'industrie de Sète (la Chambre de commerce), propriétaire de la grue, a demandé au même juge consulaire de rétracter son ordonnance ; que la société Mague Equipamentos de Movimentacao (société Mague), constructeur de la grue, est intervenue à l'instance ; que ce juge a accueilli cette demande de rétractation ; que la société Jumbo et le capitaine du navire Stellaprima, agissant en qualité de représentants de l'armateur et de l'affréteur de ce navire, ont fait appel de l'ordonnance ; que la compagnie Imperio de Seguros et la compagnie d'assurances Winterthur, assureurs de la société Mague, sont intervenues à l'instance d'appel ; que la cour d'appel a confirmé l'ordonnance ;


Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :


Attendu que la société Jumbo et le capitaine de navire reprochent à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :


1 / que le président du tribunal de commerce autorise la constitution du fonds de limitation de responsabilité au vu de l'événement survenu, du calcul du montant du fonds, des modalités de constitution du fonds tandis qu'il appartient au juge saisi au fond de statuer sur la responsabilité du propriétaire de navire et, le cas échéant, de refuser la limitation de responsabilité à raison de la faute inexcusable si bien qu'en se fondant sur l'apparente faute inexcusable de la société Jumbo pour ordonner la rétractation de l'ordonnance qui autorisait la constitution du fonds, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et a ainsi violé les articles 59,60 et 61 du décret du 27 octobre 1967 ;
2 / que le propriétaire de navire qui entend bénéficier de la limitation de responsabilité doit au préalable constituer un fonds si bien qu'en ordonnant la rétractation de l'ordonnance autorisant la constitution du fonds, la cour d'appel, statuant en référé, a interdit au propriétaire de se prévaloir de son droit à limiter sa responsabilité devant le juge du fond saisi de l'affaire et a ainsi tranché le fond du litige par la mesure qu'elle a ordonnée, violant l'article 484 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que le président du tribunal de commerce qui a rendu l'ordonnance sur requête, autorisant la constitution du fonds de limitation de responsabilité du propriétaire du navire, conformément à l'article 61 du décret du 27 octobre 1967, tient de l'article 497 du nouveau Code de procédure civile la faculté de rétracter son ordonnance ;
Attendu, d'autre part, que le grief de la seconde branche est inopérant, dès lors que le bénéfice de la limitation de responsabilité, prévu par les articles 58 et suivants de la loi du 3 janvier 1967, n'est pas subordonné à la constitution du fonds de limitation prévu à l'article 62 de cette même loi ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;


Et sur le second moyen, pris en ses trois branches :


Attendu que la société Jumbo et le capitaine du navire font encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen :


1 / qu'en affirmant que la société Jumbo avait nécessairement conscience de la probabilité du dommage tout en considérant que les risques pris par ladite société n'étaient pas suffisamment établis pour être retenus, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que la faute inexcusable se définit comme une faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative si bien qu'en se bornant à affirmer que la société Jumbo avait fait preuve de négligence présentant l'apparence d'une faute inexcusable sans s'expliquer sur les éléments permettant de caractériser la faute inexcusable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 58 de la loi du 3 janvier 1967 ;
3 / que la responsabilité du propriétaire de navire n'est illimitée que s'il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnelle de sorte qu'en se bornant à retenir qu'aucune procédure de contrôle des freins de giration n'avait été prévue, sans dire en quoi cette faute pouvait constituer la faute personnelle et intentionnelle ou inexcusable de l'armateur lui-même, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 58 de la loi du 3 janvier 1967, telle que modifiée par la loi du 21 décembre 1984 ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel ne s'est pas contredite en retenant, d'un côté, que la société Jumbo avait nécessairement conscience de la probabilité du dommage en ne prévoyant aucune procédure de contrôle des freins de giration de la grue et, d'un autre côté, que les risques pris lors des opérations de déchargement, du fait du matériel utilisé, ne sont pas suffisamment établis pour être retenus ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que le déchargement ne pouvait être effectué, en toute sécurité, que si la grue constituait un ensemble fixe et solidaire ; qu'il retient, ensuite, que la société Jumbo n'a prévu aucune procédure de contrôle des freins de giration de la grue, destinée à s'assurer du blocage de la partie mobile et n'a effectué aucun contrôle, lors du déchargement ; qu'il relève enfin que la société Jumbo avait nécessairement conscience de la probabilité du dommage, dans le cas où la partie haute de la grue pourrait tourner ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu retenir que la société Jumbo avait fait preuve de carence et de négligence présentant l'apparence d'une faute inexcusable ; D'où il suit que la cour d'appel ayant légalement justifié sa décision, le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;


PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi